ART | CRITIQUE

Conscience de pierre

PSarah Ihler-Meyer
@26 Nov 2009

Conscience de pierre, soit des pierres posées au sol et des photographies de ces mêmes cailloux. Le passage de leur milieu d’origine à la galerie transforme ces simples roches en objets à fonctionnement artistique.

Nelson Goodman, théoricien issu de l’esthétique analytique, substitue à la question «Qu’est-ce que l’art?» l’interrogation suivante: «Quand y a-t-il art?». L’enjeu est non plus de savoir quelles sont les caractéristiques nécessaires et suffisantes pour faire d’une chose une Å“uvre d’art, mais de déterminer quel est le fonctionnement d’un objet artistique. C’est à cette question que semble répondre l’exposition Conscience de pierre.

Perçus à la campagne ou en ville, les cailloux exposés et photographiés par Helen Mirra ne seraient rien d’autres que des choses. Le regard ne s’arrêterait pas sur leurs formes et leurs textures mais les traverserait instantanément vers leurs noms : cailloux, pierre, roche, etc. La désignation prendrait immédiatement la relève de la perception. En revanche, placés à l’intérieur de la galerie, ces mêmes cailloux suscitent un tout autre regard, cette fois-ci attaché à leurs apparences.

Le grain, les moindres aspérités, nervures et éraflures des pierres captivent. Impossible de démêler dans cet entrelacs de formes celles qui comptent de celles qui ne comptent pas, de réduire ces cailloux à une seule de leurs qualités plastiques. C’est que, pour qu’ils fonctionnent de manière esthétique, il ne suffit pas de faire valoir leurs aspects formels, encore faut-il que ces derniers soient assez complexes pour de ne pas être subsumables sous un nom. Les pierres ne sont ni rugueuses, ni tendres, ni friables, elles sont tout cela à la fois, irréductibles à toute caractérisation définitive. Leur complexité plastique est par définition indicible.

Retarder la désignation pour perdre le regard dans les méandres sensibles de la roche, telle est aussi la stratégie des photographies d’Helen Mirra. Tournées à 46° ses photos de pierres sont difficilement identifiables. S’agit-il d’une montagne, d’un ravin ou d’un volcan? On ne le saura pas.

Avec de simples pierres Helen Mirra fait de la complexité sensible et de «l’impossibilité d’une détermination finie» le propre du fonctionnement esthétique (Nelson Goodman, Langages de l’art).

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