ART | EXPO

Ciel Ouvert

06 Sep - 11 Oct 2014
Vernissage le 06 Sep 2014

La sculpture de Michel François nous met en présence d’un paysage fissuré où le ciel et l’asphalte interrogent, telles des vanités contemporaines, l’existence terrestre, sa nature passagère, ses conquêtes… L’artiste s’intéresse au devenir des choses, dans une tentative très momentanée d’organiser le chaos, de recycler un instant précaire.

Michel François
Ciel Ouvert

La sculpture de Michel François est rythme, déplacement, respiration. Ses œuvres insufflent à la matière les mouvements du monde. «Ciel Ouvert», sa deuxième exposition personnelle à la galerie kamel mennour, nous met en présence d’un paysage fissuré où le ciel et l’asphalte interrogent, telles des vanités contemporaines, l’existence terrestre, sa nature passagère, ses conquêtes…

Ça commence par un mur. La surface lisse du plâtre, légère comme une frondaison de nuages, est trouée par des brèches de tôle bleue. L’arrière-plan traverse le mur pour y faire saillir ses carambolages et ses fractures. La tôle froissée, matière accidentée, impose ses fictions à la réalité, à moins que ce ne soient les réalités qui pénètrent la fiction.

Majeure dans l’œuvre de Michel François, cette porosité entre réel et imaginaire aboutit, selon une logique formelle, au bas-relief. Forme classique pour une œuvre contemporaine, la technique du bas-relief est emblématique du cheminement de l’artiste belge, qui reste attaché à une tradition de la sculpture tout en lui offrant toujours une issue inédite et renouvelée. Comme ici la percée du volume dans l’horizon plat du mur.

La mise en tension des matières, des espaces, des contraires est une stratégie, un jeu par lequel Michel François engage la vie à pulser son rythme de systole-diastole dans les fermetures, les préjugés, les a priori. Ce flux vital traverse tout l’œuvre du sculpteur et est particulièrement sensible dans cette exposition. Ciel et terre s’y répondent et s’y animent par contrariété.

Une grille couleur argent plafonne la profondeur du ciel et barre l’infini par ses lignes de frontière. Au sol, engluées dans l’asphalte, des gousses de cacahuètes. Tombées du camion, elles forment un ensemble de hasard, un ensemble clandestin. Toutefois, à force de scintillements, elles se métamorphosent en une constellation urbaine qui, du sol, envoie au ciel ses signaux de bronze. Tentatives d’évasion… Et si la cacahuète se libérait, redevenait graine et réactivait son potentiel vivant? C’est peanuts? L’avenir de l’humanité et du vivant est pourtant tendu dans la question. On entend résonner les mots du poète André du Bouchet: «Peser de tout son poids sur le mot le plus faible pour qu’il éclate et livre son ciel»… (André du Bouchet, Air, éd. Fata Morgana, 1986.)

La grille fait obstacle au ciel. Pourtant elle scintille, elle strie l’éther de pulsations d’étoiles qui offrent des repères aux humains nomades, le temps d’une traversée vitale. Les constellations structurent l’espace en y dessinant un réseau de forces signifiantes. Aussi, contrairement aux murailles terrestres, les frontières stellaires ne bloquent pas le passage mais l’accompagnent. Et le nombre infini de déplacements, d’allées et venues forment un entrelacs géographique aussi réel qu’invisible. Qui n’est pas sans évoquer l’une des œuvres les plus étonnantes de Michel François, le Scribble, une sculpture à échelle gigantesque des gribouillis que les uns est les autres laissent sur un papier après avoir testé un stylo.

Métaphore de la fermeture, de la frontière, de l’intérieur-extérieur, la grille est un motif crucial dans l’œuvre de Michel François. Elle peut apparaître aussi comme une respiration: au revers de la fermeture, il y a la possibilité de l’ouverture. Il faut rappeler que l’artiste a animé pendant un an un atelier avec des criminels récidivistes à la clinique «TBS de Kijvelanden» aux Pays-Bas. Cette résidence a donné lieu à plusieurs œuvres majeures dont le plan d’une cellule dessiné au sol à taille réelle (Expérimentation d’un plan de cellule, 1997. Où je suis vu du ciel, 1997. Section TBS, 2000. Plans d’évasion, 2009). La grille invite-t-elle à sauter assez haut pour s’élever ou alors à être saisi au sol par le reflet des barreaux? Qui sait?

Nous constatons simplement que des étincelles font vibrer l’air et vaciller la clôture. Dans ce scintillement, il y a un rythme, donc des intervalles, donc des issues multiples. On pense aux structures modulaires de Sol LeWitt, à une forme minimale qui permet un nombre infini de compositions. (Par exemple, Cubic-Modular Wall Structure, Black, 1966, coll. MoMA).

«Je m’intéresse au devenir des choses, je les fais apparaître dans un moment d’instabilité où elles peuvent basculer, se désorganiser […] C’est une tentative très momentanée d’organiser le chaos, de recycler un instant précaire», explique Michel François (François-Aline Blain, in «Parcours des arts», n°31). De fait, son matériau de prédilection est la précarité; autrement dit, ce qui n’est pas pétrifié ou fétichisé mais qui reste au seuil, fragile, en déséquilibre, prêt à un nouveau mouvement. Prêt à traverser l’ouverture, la fissure primordiale, matrice de tous les battements: l’origine du monde.

Annabelle Gugnon

Vernissage
Samedi 6 septembre 2014

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