ÉCHOS
06 Sep 2009

Chien bleu

PPaul Brannac
@

Didier Paquignon sait peindre. Il le montre peut-être un peu mais il sait peindre. Si l’on dépouille le vieux débat de ses relents séparatistes, on doit reconnaître que cet artiste est aussi bon dessinateur qu’il est fin coloriste.

Didier Paquignon sait peindre. Il le montre peut-être un peu mais il sait peindre. Si l’on dépouille le vieux débat de ses relents séparatistes, on doit reconnaître que cet artiste est aussi bon dessinateur qu’il est fin coloriste. Pinailleur à demi, on dirait qu’il redoute sans doute un peu les ciels. Non pas ceux libres de Madrid où il réside pour partie, et dont il sait rendre toutes les subtilités du bleu avec un tour enlevé, mais ceux qu’encombrent un peu les nuées et l’artiste avec eux; or ils sont peu nombreux.

Il y a de l’ancienne manière dans les toiles de Paquignon, beaucoup de maîtrise. Il semble ne s’autoriser que peu d’accidents (à peine aperçoit-on une coulure dans Tirana après la pluie, mais aussitôt le titre vient justifier l’excès). Dès lors que l’on domine si bien sa palette et son métier — et sans aucun doute le virtuose a tenaillé son talent —, c’est que l’on parvient au moment où l’on peut se défier de son agilité et tout remettre en cause. De semblables virages, cependant, ne réclament pas le fracas des chevalets ou le brouhaha d’un manifeste; que la peinture laisse les larmes au théâtre et leur récit aux marchands.

Il suffit, par exemple, de voir comment se déploie la série des chiens. Deux plages de couleur y scandent verticalement la toile en trois espaces : les plages donc, et le chien. Une dominante de ton en définit la lumière, et au centre, dans le tiers inférieur, un animal sur ses quatre pattes, le garrot tourné vers l’intérieur du tableau qui masque le museau et presque toute la face. Cette torsion, soulignée et répétée tout le long du corps par les coups de pinceau, place le canidé dans une posture de taureau, tandis que ses pattes frêles rappellent son errance et la quête d’un maître.

Le motif du chien, esseulé dans la toile ou en meute sur des tertres vagues, revient dans l’œuvre de Paquignon au moins depuis les graves monotypes d’Albanie qui ont déjà douze ans. Cette série pend alors aux cimaises comme l’aveu d’une obsession aux dimensions toutefois inédites. L’épure des repères découvre, comme chez Bacon, la virtualité de l’espace pictural et confond le geste du peintre, l’épaisseur de la touche, avec la forme réelle du sujet. S’il s’agit d’une lutte entre la matière vivante et la représentation de la matière vivante, elle-même matière vive — et dans ces conditions la création est toujours un combat —, alors Paquignon parvient avec les chiens à cet équilibre où il n’y a ni victoire, ni défaite, mais un hommage réciproque entre deux adversaires d’égale existence.

Sur une des parois de sa Maison du sourd, Goya avait peint, vers 1820, une tête de chien tendue vers l’ailleurs que Paquignon n’ignore sans doute pas. Dans les deux œuvres en effet, un grand néant, aussi complexe et plein que le motif premier, cerne l’animal. Celui de Goya est à l’affût, à la recherche d’un monde ou d’un homme, peut-être d’une ombre; celui de Paquignon retourne à cette ombre, à ce creux que la peinture ménage, à lui-même en fait, tel un taureau qui gire autour de la cape, vulnérable comme un chien, obsédé par le mouvement et la couleur, tant qu’il y a de la lumière.

Le Musée de l’Orangerie
Didier Paquignon
Tu rencontreras d’abord les sirènes
29 avril – 27 juillet 2009

AUTRES EVENEMENTS ÉCHOS