ART | CRITIQUE

Cher Peintre…. Peintures figuratives depuis l’ultime Picabia

PMuriel Denet
@12 Jan 2008

Loin de la question de savoir ce que peut encore la peinture figurative, et comment elle fait œuvre aujourd’hui, une exposition en forme d’accumulation éclectique de kitsch, de faux-semblant, et de dérision, sans autre projet apparent que celui de surfer sur la vague du contre-courant.

Comme pour faire bonne mesure, après deux expositions très médiatisées consacrées à des artistes photographes au faîte de leur renommée (Nan Goldin puis Andreas Gursky), la peinture effectue un retour démonstratif à la galerie sud du centre Pompidou. Le principe de l’accrochage est sans surprise: la succession de micro-monographies est ouverte par un quintette de figures historiques, précurseurs supposés, suivi d’une douzaine de peintres, à peine quadragénaires, sensés s’inscrire, peu ou prou, dans leur filiation. Mais le propos théorique qui a présidé à leur sélection ne semble se nourrir que d’apparence.

Certes, les peintures de Sigmar Polke, Alex Katz, Martin Kippenberger, et du Picabia des années de guerre, sont toutes figuratives. Toutes se confrontent à un réel déjà médiatisé par d’autres images : photographie, cinéma, médias, publicité. Et toute cette peinture contaminée porte les stigmates des stéréotypes de la culture médiatique. Mais ne voir que des nus érotiques, un peu kitsch, dans les tableaux de Picabia, serait oublié l’ironie mordante de l’artiste. On sait qu’ils ont été conçus à partir de photos trouvées dans la presse de charme de l’époque, que Picabia a nettoyé de détails superflus, recombiné, et colorisé, dans une facture un peu guindée, qui insiste sur les contours et les effets de chairs, mais qui respecte scrupuleusement poses et lumières suggestives. A l’évidence, l’œuvre se situe tout autant dans ce processus, que dans les images peintes qui en résultent, et dont la mièvrerie, teintée de vulgarité, est une réponse grinçante à l’opprobre qui plane alors sur l’art abstrait, taxé de dégénérescence.

On aurait pu s’attendre ici à l’actualisation de cette question, celle de savoir ce que peut encore la peinture figurative, et comment elle fait œuvre aujourd’hui ? Attente confortée par le titre même de l’exposition, Cher Peintre, emprunté à une série éponyme de tableaux de Kippenberger. L’artiste, qui en avait délégué l’exécution à des peintres d’affiches de cinéma, signifiait ainsi, qu’après l’art conceptuel, ni le métier, ni le geste, n’étaient plus au centre de l’œuvre, même peinte.
Mais, le face à face improbable des pin up angéliques de Polke avec les figures raides et grises de Bernard Buffet, dans la seconde salle, brouille la donne. Le maniérisme froid et répétitif de ce peintre prolifique jusqu’ici ignoré des institutions est-il convoqué en vue d’une réévaluation, ou, comme le suggère John Currin dans le catalogue, pour être élevé au rang, enviable à ses yeux, de parangon de l’artistiquement incorrect ? C’est cette posture, un peu vaine, qui semble avoir été privilégiée.

De John Currin, qui superpose sur une même toile les genres et les styles les plus éculés, pour des sujets d’un mauvais goût accompli (tels que des portraits de quinquagénaires béates et débordantes d’une candeur offerte) à Peter Doigt, dont les paysages, et les scènes de genre, tout droit sortis des albums de vacances, dégoulinent de tous les effets de matière prisés par les peintres du dimanche, l’exposition semble dérouler toutes les modalités disponibles pour accorder le recyclage (par appropriation, citation, vampirisation) des images, de toute provenance, avec celui de l’histoire de la peinture et de l’illustration.
Les styles ainsi réifiés en maniérisme opportuniste n’ont plus vocation à l’expression, non plus qu’ils ne semblent répondre à aucun projet autre que celui de surfer sur la vague du contre-courant. Cette accumulation éclectique, de kitsch, de faux-semblant, et de dérision, s’exténue d’elle-même. Les enjeux semblent bien minces, comparés au déploiement de tant d’effets et d’efforts.

Quelques artistes tirent cependant leur épingle d’un jeu rendu difficile par la portion congrue impartie à chacun. A rebrousse-poil de la tendance ambiante, Carole Benzaken prend le parti déclaré du décoratif, et est la seule à oublier la forme tableau. Une frise continue de petits panoramiques vivement colorés se dévide tout autour d’une salle : tranches peintes d’images découpées dans des photos trouvées, ou prises, ce qui revient au même. Quelques-unes sont les motifs d’une mosaïque de céramiques aux couleurs saturées, posée au sol.

Les toiles monumentales de Neo Rauch évoquent des nasses qui remonteraient à la surface les scories d’un passé naufragé : objets, effigies, thèmes, graphisme, couleurs acides et ternes, rescapés des années cinquante, et de l’autre côté du Mur. Dans des imbroglios visuels invraisemblables, qui évoquent la BD d’aventure ou de science-fiction, elles nous content, à force de collisions énigmatiques, les affres et les luttes de la peinture dans un monde froidement hostile.
Plus méthodique en apparence, les Regards diagnostiques de Luc Tuymans alignent sans effet des fragments de corps — torses nus, visages impavides, jambes malingres, mamelon ou tumeur —, comme autant de symptômes d’une impossibilité de peindre.
Pour Bruno Perramant aussi, la toile est fragment, à l’instar du photogramme: décontextualisable, et raccordable, à volonté. Représentations — affirmées comme telles par le tremblement même de la touche — d’intérieurs, de mobilier, d’objets courants, de personnages entraperçus, citations d’autres images, auto-citations, mots incrustés comme des sous-titrages de cinéma, ces images peintes, unifiées dans une même tonalité, sans éclat mais limpide, sont riches d’une stratification ouverte, propice au montage en polyptyques transformables, qui amorcent des fictions, ou des interprétations flottantes du réel. Ils disent aussi que la vision monoculaire, caractéristique de la peinture occidentale, n’est décidément plus tenable aujourd’hui. «On analyse tout en profondeur», dit une voix off.
Après l’épuisement des spécificités picturales, voici la mise en pièces détachées des rapports de la peinture aux autres images, qui saturent le réel. «— Et vous remettez le cerveau, — on remet tout.» C’est l’entreprise la plus stimulante de Cher Peintre.

Kai Althoff
— Ohne Titel, 1993. Crayon de couleur, aquarelle et mine de plomb sur carton. 100 x 135 cm.
— Ohne Titel, 1998. Crayon de couleur, et mine de plomb sur papier. 35,2 x 47,2 cm.
— Stern, 1999. Crayon feutre sur Resopal. 84,4 x 74,9 cm.
— Aleph, 2000. Stylo-feutre, aquarelle et crayon sur papier. 100 x 135 cm.
— Ohne Titel, (aus der Serie Impulse), 2001. Dessin à la résine synthétique, graines. 70 x 64 x 4 cm.
— Ohne Titel, (aus der Serie Impulse), 2001. Peinture pour bateau, aquarelle, papier et vernis sur toile. 40 x 40 x 4,5 cm.
— Ohne Titel, (aus der Serie Impulse), 2001. Peinture pour bateau, aquarelle, papier et vernis sur toile. 50 x 70 x 8 cm.

Carole Benzaken
— Rouleau à peintures, commencé en 1989. Acrylique sur papier. 5 x 4500 cm.
— Sol (Fragment I), 2002. Céramique grand feu, oxydes et métaux sur lave. 475 x 640 cm.

Glenn Brown
— The End of the Twentieth Century (after Fragonard and Baselitz), 1996. Huile sur panneau. 79 x 57 cm.
— Seligsprechung, 2000. Huile sur panneau. 85 x 67,5 cm.
— The Suicide of Guy Debord, 2001. Huile sur panneau. 58,5 x 46,7 cm.
— The Rebel, 2001. Huile sur panneau. 84,5 x 70 cm.
— It’s a Curse, It’s a Burden, 1996. Huile sur panneau. 79 x 57 cm.
— Ride with Devil, Sympathy for the Poor, 2001. Huile sur panneau. 62,5 x 46 cm.
— Joseph Beuys (after Rembrandt), 1996. Huile sur panneau. 79 x 57 cm.

Bernard Buffet
— Nu debout, 1949. Huile sur toile. 192 x 95 cm.
— Portrait de l’artiste, 1949. Huile sur toile. 92 x 65 cm.
— Annabel en T-Shirt, 1960. Huile sur toile. 130 x 81 cm.
— Annabel en blue-jeans, 1960. Huile sur toile. 190 x 97 cm.
— Femme couchée (de la série Femmes déshabillées), 1965. Huile sur toile. 200 x 300 cm.

Brian Calvin
— Don’t Be Denied, 2000. Acrylique sur toile. 91 x 152 cm.
— Onwards, 2001. Acrylique sur toile. 45,7 x 58,4 cm.
— Further Still, 2001. Acrylique sur toile. 123 x 92 cm.
— Passing Trough, 2001. Acrylique sur toile. 136 x 102 cm.
— Slow Burn, 2001. Acrylique sur toile. 152,4 x 122 cm.

John Currin
— Girl in Bed, 1993. Huile sur toile. 96 x 122 cm.
— The New Guy, 1994. Huile sur toile. 40,5 x 30,5 cm.
— Dogwood, 1997. Huile sur toile. 27,9 x 35,5 cm.
— Jaunty and Mame, 1997. Huile sur toile. 121,9 x 91,4 cm.
— Sno-bo, 1999. Huile sur toile. 121,9 x 81,2 cm.
— The Hobo, 1999. Huile sur toile. 101,6 x 81,2 cm.
— Minerva, 2000. Huile sur toile. 71,1 x 55,8 cm.
— The Moroccan, 2001. Huile sur toile. 66 x 55,8 cm.
— Angela, 2001. Huile sur toile. 55,8 x 40,6 cm.

Peter Doigt
— White Out, 1992. Huile sur toile. 145 x 114 cm.
— Blotter, 1993. Huile sur toile. 249 x 199 cm.
— Olin MK IV, 1995. Huile sur toile. 250 x 200 cm.
— Daytime Astronomy, 1997-1998. Huile sur toile. 200 x 280 cm.
— 100 Years Ago, 2001. Huile sur toile. 229 x 358,5 cm.

Sophie von Hellermann
— Leading Lady, 2001. Acrylique sur toile. 180 x 260 cm.
— When he came…, 2001. Acrylique sur toile. 180 x 260 cm.
— These things happened last winter, sir, 2001. Acrylique sur toile. 180 x 260 cm.
— Belle de jour, 2001. Acrylique sur toile. 210 x 300 cm.

Alex Katz
— February 5:30 P.M., 1972. Huile sur toile. 183 x 366 cm.
— Thursday Night # 2, 1974. Huile sur toile. 183 x 366 cm.
— Summer Picnic, 1975. Huile sur toile. 198,1 x 365,8 cm.
— Saturday, 2002. Huile sur toile. 264,1 x 284,4 cm.

Kurt Kauper
— Diva Fiction # 11, 1999. Huile sur panneau de bois de bouleau. 216 x 121,9 cm.
— Diva Fiction # 12, 1999. Huile sur panneau de bois de bouleau. 223,5 x 120,7 cm.
— Cary Grant # 1, 2001. Huile sur panneau de bois de bouleau. 228,6 x 142,2 cm.
— Cary Grant # 2, 2001-2002. Huile sur panneau de bois de bouleau. Diamètre 119,3 cm.

Martin Kippenberger
— Bekannt durch Film, Funk, Fernsehen und Polizierufsäulen, 1981. Technique mixte. 21 peintures, chaque 60 x 50 cm.
— Ohne Titel (aus der Serie Lieber Maler, male mir), 1981. Acrylique sur toile. 300 x 200 cm.
— Ohne Titel (Selbstporträt), 1988. Acrylique sur toile. 241 x 202 cm.
— Ohne Titel (aus der Serie Das Floss der Medusa), 1996. Acrylique sur toile. 150 x 180 cm.

Bruno Perramant
— Dessous dessous maintenant / toujours plus, 1997. Huile sur toile. 5 peintures : 3x (92 x 73 cm) ; 2 x (90 x 130 cm). Dimension totale : 182 x 415 cm.
— Matrice, 1997-1998. Huile sur toile. 9 peintures, chaque 73 x 92 cm. Dimension totale : 276 x 219 cm.
— Stacks of Time (Sélection Alison Gingeras, arrangement Bruno Perramant), 2002. Huile sur toile. 16 peintures, dimensions variables.

Elizabeth Peyton
— Blur Kurts, 1995. Huile sur masonite. 35,6 x 27,9 cm.
— John Simon Beverly Richtie (Sid)s, 1995. Huile sur masonite. 30,5 x 22,9 cm.
— Piotr, 1996. Huile sur MDF. 22,9 x 12,7 cm.
— Jarvis, 1996. Huile sur panneau. 28 x 35,6 cm.
— David Hockney, Powis Terrace Bedroom, 1998. Huile sur panneau. 25 x 18 cm.
— Democrats are more beautiful (after Jonathan), 2001. Huile sur panneau. 25,4 x 20,3 cm.
— Nude (Tony), 2001. Huile sur panneau. 15,2 x 20,3 cm.
— Luing (Tony), 1998. Huile sur MDF. 35,6 x 27,9 cm.
— September (Ben), 2001. Huile sur panneau. 30,8 x 23,2 cm.

Francis Picabia
— Modèle nu(e) debout, 1941. Huile sur papier et carton. 106,5 x 76,5 cm.
— La Brune et la blonde, 1941. Huile sur carton. 104 x 75 cm.
— Femme nue devant la glace, 1941-1942. Huile sur carton. 106 x 76,5 cm.
— Nu de dos, 1940-1942. Huile sur carton. 105 x 76 cm.
— La Femme blonde / La Blonde, 1942. Huile sur carton. 106 x 76 cm.
— Portrait d’un couple, 1942-1943. Huile sur panneau. 105,7 x 77,4 cm.

Sigmar Polke
— Engel, 1962. Huile sur toile. 49 x 60 cm.
— Der Wurtesser, 1963. Dispersion sur toile. 200 x 150 cm.
— Liebespaar, 1967. Vernis et stylo à bille sur toile. 170 x 130 cm.

Neo Rauch
— Unerträglicher Naturalismus, 1998. Huile sur bois. 160 x 105 cm.
— Die Wahl, 1998. Huile sur toile. 300 x 200 cm.
— Sturmnacht, 200. Huile sur toile. 200 x 300 cm.
— Grat, 2000. Huile sur bois. 200 x 300 cm.
— Niederung, 2001-2002. Huile sur toile. 250 x 210 cm.

Luc Tuymans
— Sealed Room, 1990. Huile sur toile. Triptyque, chaque tableau 36 x 38 cm.
— Der Diagnostische Blick I, 1992. Huile sur toile. 53 x 48 cm.
— Der Diagnostische Blick III, 1992. Huile sur toile. 62 x 40 cm.
— Der Diagnostische Blick IV, 1992. Huile sur toile. 57 x 38 cm.
— Der Diagnostische Blick V, 1992. Huile sur toile. 58 x 42 cm.
— Der Diagnostische Blick VI, 1992. Huile sur toile. 75 x 48 cm.
— Der Diagnostische Blick VIII, 1992. Huile sur toile. 68,5 x 39,5 cm.
— Der Diagnostische Blick IX, 1992. Huile sur toile. 49 x 57 cm.
— Der Diagnostische Blick X, 1992. Huile sur toile. 48,5 x 55,5 cm.

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