ART | EXPO

Souriez, c’est de l’art

20 Mai - 28 Août 2005

Une exposition autour du thème de l’humour. Une réponse au climat dépressif qui n’épargne pas le milieu de l’art. Tableaux-objets, sculptures, dessins, photos, productions visuelles et sonores de Baxter, Broodthaers, Charlier, Delvoye, Folon, Franquin, Geluck, Hocks, Key, Lavier, Magritte, Mariën, Peyo, Picha, Reiser, Royer, Séchas, Sempé, Tetsu, Topor, Wegman, etc.

Baxter, Broodthaers, Charlier, Delvoye, Folon, Franquin, Geluck, Hocks, Key, Lavier, Magritte, Mariën, Peyo, Picha, Reiser, Royer, Séchas, Sempé, Tetsu, Topor, Wegman, etc.
Souriez, c’est de l’art

On aurait pu appeler cette exposition « Gardons le sourire », en réponse au climat dépressif qui règne dans le monde et n’épargne pas le milieu de l’art contemporain. L’humour n’est ni un désespoir masqué, ni une ironie féroce. Depuis Magritte, Picabia, Tzara et Duchamp, il s’est développé dans les arts plastiques, alors que depuis le XVIIIe siècle, il s’amplifiait en littérature. Aujourd’hui, l’humour de l’art rejoint l’art de l’humour, tous deux omniprésents en publicité, à la télévision, dans les musées. La cimaise que l’on verra se propose de juxtaposer des artistes comme Charlier, Delvoye, Lavier, Magritte, Marï;en, Séchas, Wegman, et des cartoonistes tels que Geluck, Folon, Sempé, Topor.

Pas question de hiérarchiser tout cela : Franquin est un grand artiste et Glen Baxter se présente comme inclassable, entre dessin d’humour et tableau. Jacques Charlier est l’un des humoristes de l’art moderne les plus pertinents. Son humour est univoque et omnivore. Tout y passe. Il pastiche avec une habileté (une intelligence) hors du commun aussi bien le Futurisme que l’Abstraction. Wim Delvoye est un exemple parfait de la combinatoire possible entre l’obscurité et l’humour. William Wegman s’inscrit dans la grande tradition de l’esprit anglo-saxon. L’humour est une philosophie horizontale qui se refuse au Très Haut et au Très Bas.

L’humour ne se moque de personne et n’entend ni bousculer l’ordre social ni le restaurer. Sa cible, son matériau même est le langage. Ce qui est devenu risible, c’est de se fier aux mots, aux images et aux consensus qu’on leur accordait. Rions des signes, dit l’humoriste, et de moi-même en les utilisant.
La part importante de l’esprit belge en ce projet se justifie, non seulement par le nombre et la qualité des artistes et humoristes concernés, mais aussi du fait que la culture francophone de Bruxelles et de Wallonie, constamment guettée par les approximations, contre-sens ou bruitages s’abandonne volontiers au « mieux vaut en rire ».
Cette petite communauté (un modeste pays) n’éprouve par ailleurs aucun instinct de puissance moqueuse vis-à-vis d’autrui, de l’autre, toujours suspecté d’être idiot, risible. Au pays des Schtroumpfs, le langage, brouillé, finit toujours par bien se faire entendre…

Pierre Sterckx, commissaire de l’exposition.

Les artistes

Glen Baxter (1944)
Inclassable Glen Baxter, tout aussi à l’aise à la cimaise des galeries d’art contemporain que dans les magazines. La publicité lui réussit également. Il est le parfait exemple de non-sense anglo-saxon, l’héritier de Lewis Carroll et des Surréalistes. C’est un dessinateur de haut niveau, un metteur en scène imparable, un scénariste hilarant.

Marcel Broodthaers (1924-1976)
Le coups de génie de Broodthaers (en 1968 en pleine excitation révolutionnaire collective) : créer son propre musée d’art moderne, s’en attribuer la direction, y développer le Département des Aigles. Tout en plaçant sous chaque « chose » exposée une étiquette magrittienne : « ceci n’est pas de l’art ». Broodthaers est un brillant disciple de Magritte et de Duchamp qui a magnifié ironiquement sa belgitude. Ses casseroles de moules affrontèrent les Marilyn de Warhol, à la belge.

Jacques Charlier (1939)
Pour Jacques Charlier, il n’y a pas un seul signe en art, qui ne soit risible, digne de faire rire. Depuis des dizaines d’années, il peint la déconfiture de la peinture. Il active sans amertume la désillusion des Modernes, en digne héritier de Picabia et de Magritte. Mais avec une connaissance et un respect du medium qui laissent pantois ! Charlier a payé fort cher son impertinence. Le marché de l’art n’aime pas que le bouffon soit plus talentueux que le Prince.

Jean-Michel Folon (1934)
Un créateur peut devenir célèbre par une seule de ses œuvres. Pour Folon, ce fut son petit bonhomme avec un chapeau, héros du générique d’Antenne 2, au début des années 70. Tout son univers s’y trouvait déjà. Douceur de l’aquarelle, apesanteur des figues, rêverie, métamorphoses en oiseaux. Cette euphorie est cependant habitée par le problème de la communication, le sens de la vie, la peur face aux mégapoles… Folon est également peintre et sculpteur.

André Franquin (1924-1997)
Un grand maître. Il était dépressif. « Les Idées noires » est son chef d’œuvre. Mais il fait rire des générations. Son Gaston incarne l’humour au quotidien, par le refus du labeur, son Marsupilami exalte la tonicité vitale. Et quel dessinateur ! Face à l’imposante rigueur de la « ligne claire » (Hergé, Jacobs, Martin), il a opté pour un trait lyrique, baroque, surabondant.

Wim Delvoye (1965)
Célèbre dans le monde entier par sa machine à excrémenter, la « Cloaca », Wim Delvoye associe l’obscénité et l’humour. Il associe et télescope divers codes, nobles ou ignobles, artistiques et scientifiques, technologiques et religieux. Tout cela se connecte en vitraux gothiques, objets d’artisanat, peaux tatouées de cochons.

Philippe Geluck (1954)
Aussi vrai que Tintin, c’est Hergé, Philippe Geluck est le chat. En quelques années, ce gros matou (né en 1985), philosophe s’est imposé comme un classique du dessin d’humour. Le chat se joue des mots et des images, de leurs rapports aberrants, de leurs paradoxes insolubles, dans la grande tradition du non-sense et de Magritte. L’activité télévisuelle de son alter-ego et créateur (chez Druker, chez Ruquier) a multiplié le succès du félin monologuant. Le premier métier de Philippe Geluck était acteur de théâtre.

Teun Hocks (1947)
Ce photographe néerlandais apparaît comme un ovni dans le ciel de l’art contemporain. Il se met en scène, depuis plus de vingt ans, en des situations oniriques et burlesques. Chacune de ses photos est retouchée par lui mais la frontière entre peinture et photographie est indécelable.

Julian Key (1930-1999)
En Belgique, ce publicitaire et graphiste, proche de Savignac, s’est taillé une renommée qui ne s’est pas réduite après sa mort : l’actuelle affiche du Salon du Bâtiment, à Bruxelles, est toujours celle qu’il créa il y a plus de 20 ans. Julian Key aurait voulu être clown. Quelque chose de ce métier de Gugusse est passé dans son activité de dessinateur.

Bertrand Lavier (1949)
Cet héritier de Marcel Duchamp et du Pop Art a réussi à faire exploser le ready-made en le rendant immédiatement ludique. Peindre un objet quelconque (peindre dessus, le re-peindre) est en effet une activité qui suscite le sourire. Comme si les choses n’arrivaient plus à se manifester toutes seules, à nous parler. Et comme si l’activité de l’artiste leur était devenue vitale pour se refaire un visage, une parure. Avec Lavier, la dichotomie art/non art a cessé de nous torturer : c’est de l’art et ce n’en est pas. C’est de l’humour-art.

René Magritte (1898-1967)
René Magritte n’aimait pas que l’on parlât d’humour à son sujet. Il se méfiait des effets faciles et des anecdotes, totalement absorbé par son travail sur les divers signes du langage. Il préférait définir son travail en termes de « mystère » et de « problèmes ». Cependant son œuvre dégage un humour décapant par la juxtaposition d’images incompatibles. Tout le surréalisme, dont Magritte est le chef de file en Belgique, est par ailleurs virtuose en humour noir ou subversif. Picabia et Duchamp eussent pu partager la présente cimaise avec Magritte.

Marcel Mariën (1920-1993)
Cet ami intime de Magritte a développé au sein du groupe surréaliste belge un univers bien à lui. Il est écrivain, polémiste, éditeur, cinéaste, faussaire illustre… Mais c’est son œuvre de collages photographiques qui l’aura rendu célèbre. Y règne un érotisme drôlatique constamment exercé sur le nu féminin. Pour Mariën, tout cela n’étant pas de l’art mais une « activité ». « Tout ce que je fais, c’est pour passer le temps… C’est une activité un peu plus élaborée que celle des fourmis ou des araignées ».

Peyo (1928-1992)
Le mot clé, le logotype verbal de Peyo est un « Schtroumpf », un son bruité, un trou dans la communication. A partir de ce schtroumpfage, Peyo va développer tout un univers de lutins comiques, leur chef paternel, leur ennemi Gargamelle. Déjà dans des Å“uvres précédentes – « Les aventures de Johan et Pirlouit » – Peyo avait développé son humour en un Moyen-Age revisité. Mais les Schtroumpfs assurèrent sa notoriété par les dessins animés réalisés aux Etats-Unis par la NBC.

Picha (1942)
Tarzoon est dans toutes les mémoires. Le héros de la jungle y fut admirablement démystifié. Picha, dans ce désormais classique dessin animé, affirma à l’échelle internationale un talent de cartooniste subversif qu’il avait auparavant développé dans Hara Kiri et Times Magazine. L’humour de Picha est dévastateur, précis, très physique, imparable. On attend avec impatience son prochain long métrage : « L’affaire Blanche Neige ».

Reiser (1941-1983)
Son humour est déjà dans son dessin : ça gratte, ça déchire, ça suinte, ça gicle. Reiser n’aura pas attendu que la planète soit devenue une poubelle pour tenter, en désespoir de cause, d’en rire, en proposant des écologies catastrophes, cela s’appelle de l’humour noir. Le sexe y joue le rôle de la mort. Reiser, ou le désespoir dans l’amour et l’utopie : « tout le monde à poil contre le terrorisme ». Et cela sans aucun mépris pour personne, même pas pour les « gros déguelasses »…

Royer (1933)
Il débuta dans l’hedomadaire satyrique bruxellois « Pan », pour devenir le cartooniste politique le plus célèbre de Belgique par ses travaux pour le journal Le Soir. Ses dessins relatifs au Roi Beaudouin sont mémorables. Parallèlement à cette activité de caricaturiste, Royer a développé,un grand talent de publicitaire.

Alain Sechas (1955)
Encore un chat ! Avec celui de Lewis Carroll, le Felix du cartoon américain, ceux de Baudelaire, le matou de Geluck, le crazy cat de Herriman, les créatures d’Alain Séchas constituent une zoologie du sourire félin. C’est de la sculpture décontractée, à regarder lentement. L’humour s’y montre net et sans effets excessifs. Un peu comme un moment de douce stupeur, une apathie tendre. Séchas, sculpteur, sait bien que le temps de l’humour, comme celui de la statuaire, est toujours celui d’un suspens.

Sempe (1932)
Le prince des humoristes. Un des rares cartoonistes français à avoir séduit l’Amérique. Son dessin crépite, invite l’œil à piétiner les flaques d’eau dans la cour de récré du Petit Nicolas. Il aura réussi à « revoir Paris » sans sombrer dans la sempiternelle nostalgie du pittoresque. Tout chez lui est mouvement, vagues, turbulences, musique. Son humour attendrit parce qu’il est lui-même touché par les petits gestes et fugaces émotions d’un chacun.

Tetsu (1913)
C’est un peintre venu au dessin d’humour. Reconnu et salué par tous ses confrères, Tetsu est l’un des maîtres du dessin d’humour. Son ironie grinçante nous renvoie une image cruelle de nos existences. Son premier dessin paraît dans « Noir et Blanc » en 1951. Il dépeint sans complaisance la petite bourgeoisie contemporaine.

Topor (1938-1997)
Topor, c’est Rabelais et Lautréamont, avec une touche de Goya. A la frontière du dessin d’humour et de la peinture (mais qui a inventé cette indécise bordure ?), il a développé un univers d’une cruauté hilarante. C’est volontiers cannibale, souvent sadique, parfois scatologique et obscène. L’humour de Topor est fait pour interroger le corps, le sien, celui des autres. Il déploie l’intérieur en surfaces, les ouvre et les découpe, les éviscère. Aucun medium ne lui est étranger. Topor fut un écrivain remarquable et un cinéaste de grand talent

William Wegman (1943)
Ce photographe new-yorkais travaille depuis 1970 avec des braques de Weimar, une race de chiens intelligents, cabotins et dociles. Ils lui servent d’acteurs pour démonter avec humour tous les rouages de notre système des Beaux-Arts, et au-delà, d’autres systèmes de signes. Le non-sense des photographies (polaroï;d) de Wegman ne néglige cependant pas les problèmes de la plasticité : composition, perception, abstraction etc

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