ART | EXPO

Casser la baraque

23 Sep - 13 Nov 2011
Vernissage le 22 Sep 2011

Comment ruiner l’ordonnancement d’un bel hôtel particulier nantais? Et pourquoi donc livrer à la destruction une belle demeure et donner raison par là même aux contempteurs de l’art contemporain qui ne voient dans ce dernier que gestes iconoclastes et gratuits? Parce que tout le monde sait que la destruction précède toujours une reconstruction à venir, que pour rebâtir plus haut et plus beau, il faut toujours en passer par des sacrifices...

Wilfrid Almendra, Emilie Ding, Karsten Födinger, Briac Leprêtre, Mathieu Mercier, Benoît-Marie Moriceau, Nicolas Milhé, Morgane Tschiember, Philippe Cognée, Franck Gérard
Casser la baraque

Par Patrice Joly

Il n’est pas question de revenir ici sur un des modes de fonctionnement de l’art du XXe siècle qui s’est fait une spécialité de la tabula rasa; non, ici l’entreprise est plus modeste: il s’agit simplement de tenter de déconstruire (au propre comme au figuré) une belle maison bourgeoise en s’attaquant à ce qui fait l’essence de cette dernière, entre harmonie, proportions des volumes et volutes en stuc qui font tout le charme discret et tranquille des logis de maître et de confier cette entreprise à une bande d’artistes armés de marteaux et de burins!

Presque… Il s’agit plus en fait de s’attaquer aux codes de la bienséance architecturale en donnant libre cours aux penchants des artistes à revisiter les lieux d’exposition: d’une certaine manière, une oeuvre, quelle qu’elle soit, constitue une perturbation de l’espace qui n’est pas simplement de l’ordre de l’ornementation et représente déjà une intrusion dans ce qui se devrait d’être un contenant «neutre». Certes, une maison est avant tout destinée à être habitée mais les murs immaculés des demeures huppées du XIXe devaient rarement le rester longtemps, à croire que l’anormalité proviendrait plus de ces murs vides que de ces murs remplis des diverses peintures et manifestations du goût plus ou moins sûr de leurs propriétaires: ce constat suffit à prouver l’existence d’une conformité des oeuvres à leur réceptacle et inversement… L’architecture moderne n’a fait que prolonger cette homogénéité du contenant au contenu en éliminant au fur et à mesure les dorures permettant ainsi à l’abstraction de se frayer un chemin sur ses murs.

Aujourd’hui, il n’est peut-être plus tant question d’harmonie que de désir de rupture et l’exposition «Casser la baraque» vient souligner le hiatus qui peut exister entre une architecture souvent inadapatée à l’art contemporain, qui ne se satisfait plus d’orner les chaumières mais au contraire vient rediscuter la préséance des murs et destituer, briser la continuité entre ces derniers et les oeuvres… Paradoxalement, ces dernières ne sont jamais tant visibles que lorsqu’elles se détachent, formellement et contextuellement, de leurs cimaises: c’est un peu le but de l’exposition, de montrer le chemin parcouru en ce qui concerne la «fonction» des oeuvres et leur impact sur les espaces «habités» et donc de mettre en lumière une cohabitation de plus en plus problématique.

Aussi les oeuvres exposées ne se contenteront pas de jouer le jeu habituel du sage agencement qui régit généralement le code de bonne conduite du curateur invité, qui plus est quand il s’agit d’investir une galerie privée officiant dans un hôtel particulier: les artistes «s’attaqueront» à la hauteur des plafonds (Briac Leprêtre) pour rendre inconfortable le passage d’une pièce à l’autre ou bien surélèveront les escaliers ou encore feront disparaître le plancher sous une couche de bitume, histoire de dérouter le chaland habitué à son confort de potentiel collectionneur chouchouté (Morgane Tschiember). Pour rendre l’épreuve de cette visite encore plus ardue, ils iront même jusqu’à imaginer des excroissances déplacées visant à déformer l’échelle de l’habitat et sa fonctionnalité (Emile Ding, Benoît-Marie Moriceau); certains s’en prendront aussi à la lisibilité de sa structure en imaginant des traces de chantiers fictionnels (Karsten Födinger), d’autres transformeront la décoration extérieure en lui infligeant un relookage extrême quand ils ne recycleront pas les rebuts d’anciennes catastrophes climatiques (Wilfrid Almendra); enfin, certains présenteront des mobiliers hybrides et manifestement impraticables (Mathieu Mercier), feront disparaître l’objet du désir architectural sous des couches de peinture qui dissolvent son image même (Philippe Cognée) ou via des tours de passe-passe vidéo (Franck Gérard) ou bien proposeront tout simplement des maisons impossibles à habiter (Nicolas Milhé).

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