ART | CRITIQUE

Big Band

PPhilippe Coubetergues
@22 Avr 2005

Exposition conçue par Raphaël Rubinstein qui a sélectionné des peintures abstraites d’artistes européens et américains. A partir d’une conception la peinture Big Band.

Le commissariat de cette exposition, qui a été confié à Raphaël Rubinstein, consiste en une sélection de peintures abstraites parmi des artistes européens et américains. Dans un texte théorique qui accompagne cet accrochage, le commissaire défend sa conception d’une peinture Big Band, attachée à un répertoire classique dans un format limité. On pourra également comparer cet ensemble d’œuvres à un big band de jazz, chaque tableau y sonnant sa partition, dans sa tonalité et sa résonance propre. Enfin, indépendamment de tout rapprochement avec la musique, on pourra aussi, apprécier quelques morceaux de peinture que le hasard ou d’autres intentions plus calculées, ont fait se rencontrer.

Car le rapport entre les œuvres s’arrête là. Il n’y a peut-être rien de véritablement commun à ces pratiques. Ainsi, nous sommes tout aussi bien autorisés à voir ce qui les distingue que ce qui les rapproche. La libre gestualité des entrelacs de Karin Davie s’oppose assez bien à la juxtaposition appliquée des masses opaques de Stanley Whitney. A la trame régulière de Richmond Burton répond insidieusement le cloisonnement irrégulier de Bruce Pearson. Et les volutes vaporeuses de Katharina Grosse s’affrontent efficacement aux boursouflures sanglées d’Edouard Prulhière.
Il ne reste que trois oeuvres qui n’ont pas été citées : celle de Shirley Jaffe, celle de Carmengloria Morales, et celle de Norman Bluhm. Elles ne sont certes pas accrochées l’une à côté de l’autre, ni même en vis-à-vis. Mais le visiteur qui serait par mégarde tenté de les comparer n’aurait d’autre issue de les considérer toutes trois comme « des surfaces planes recouvertes de couleurs en un certain ordre assemblées » (Maurice Denis, Le Ciel et l’Arcadie, Hermann, 1993).

C’est à la fois le charme et l’intérêt de la peinture, et sans doute des œuvres d’art en général. Elles se prêtent de bonne grâce à bien des appropriations théoriques mais en dernier ressort échappent à toutes. Et cela apparaît de façon d’autant plus déterminante que le prétexte de leur rapprochement est arbitraire, ou fumeux.
Mais l’intention de Raphaël Rubinstein pourrait aussi être reçue comme un écho parodique et annonciateur d’un autre accrochage au titre prometteur de Big Bang programmé au Musée national d’art moderne. A la lecture des intitulés descriptifs de ce prochain accrochage des collections historiques (Destruction, Construction, Déconstruction, Subversion, etc.) prévu pour juin prochain, on craint en effet qu’en guise de Big Bang nous soit rejouée une même partition en changeant seulement de fanfare.

— Stanley Whitney, Between Black and White, 2003. Huile sur toile. 170 x 170 cm.
— Carmengloria Morales, Tondo S 03-3-2, 2003. Pigments sur toile. 180 cm de diamètre.
— Karin Davie, Between My Eye and Heart n°6, 2004. Huile sur toile. 162 x 274 cm.
— Norman Bluhm, Rite of Midnight, 1994. Huile sur toile. 259 x 193 cm.
— Edouard Prulhière, Sans titre, 2005. Technique mixte. 165 x 120 x 45 cm.
— Richmond Burton, Pleace, 2004. Huile sur toile. 183 x 274 cm.
— Shirley Jaffe, Curved Rainbow, 2003-2004. Huile sur toile. 210 x 150 cm.
— Bruce Pearson, Rejection Endurance lunch, 2005. Huile et acrylique sur polystyrène. 228 x 182 x 13 cm.
— Katharina Grosse, Untitled, 2002. Acrylique sur toile. 284 x 200 cm.

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