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Bienvenue, Monsieur le Ministre

PAndré Rouillé

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, vous pouvez peut-être donner une nouvelle impulsion à ce Ministère de la Culture qui en a bien besoin. C’est au moins ce que l’on voudrait croire…
Votre parcours personnel et l’état de votre majorité devraient logiquement vous conduire à très nettement agir contre ce que l’on a ici appelé le «virus de l’impossible», ou cette affection paralysante pour la culture qu’est la «futurophobie».
Le saurez-vous ?

Vous avez l’énorme avantage de succéder à un ministre qu’un journaliste, sans doute sévère, a récemment décrit comme «fébrile devant la contestation des intermittents du spectacle, peureux lors des manifestations avignonnaises, et surtout hautain et autiste face à des professionnels unanimes quant à l’inanité de la réforme des annexes 8 et 10» (Libération, 1er avril 2004).
Fort du soutien du Président de la République, et de son désaveu du gouvernement précédent, vous devriez pouvoir assez facilement dénouer la crise. A condition que les propos présidentiels soient suivis d’effets, et que vous sachiez être concret, car la mobilisation des intermittents ne faiblit pas (une «journée nationale d’action» est prévue le 19 avril en vue d’obtenir l’abrogation du nouveau régime d’assurance chômage des intermittents).

Vous êtes là condamné à réussir pour enrayer la dynamique ravageuse de la lutte des intermittents qui, par leur ténacité, ont réussi à se transformer en emblème de la résistance contre la politique du précédent gouvernement, à entraîner dans leur sillage les chercheurs, et à susciter un large mouvement de sympathie qui s’est concrétisé dans le succès rencontré par la pétition sur la «Guerre contre l’intelligence». Pour aboutir au récent séisme électoral dont votre majorité a fait les frais.

C’est en effet une donnée de l’époque : alors que les artistes ont longtemps été copieusement salués mais relégués à une place subalterne (le budget de votre ministère l’atteste) ; alors que la culture n’a été pensée qu’en termes de dépense ou d’assistance ; le mouvement des intermittents a fait éclater au grand jour l’importance politique et économique de la culture et des artistes.

Un succès avec les intermittents serait évidemment mis au crédit du gouvernement, et donnerait sans doute un peu d’éclat à votre image. Car vous êtes plus connu pour votre très récente condamnation pour blanchiment dans le procès du financement illicite du Parti républicain qu’en raison de votre action dans le champ de la culture — votre passage au très falot Ministère de la Culture de François Léotard à la fin des années 1980 n’a pas laissé des souvenirs impérissables.

Si vous le vouliez, ou le pouviez, l’ouverture résolue de nouvelles perspectives, la réorientation de l’action de votre ministère vers le futur plutôt que vers le patrimoine, la définition de choix audacieux et clairs, seraient pour vous autant de moyens de peut-être faire oublier votre collaboration aussi malheureuse qu’assidue à l’agitation et aux manifestations organisées en 1999 par Christine Boutin contre le Pacs aux cris de «Les pédés au bûcher!».
Comme quoi l’indécence n’est pas toujours un handicap pour faire une carrière ministérielle, y compris dans ce ministère de l’intelligence et du raffinement de la pensée que devrait être le Ministère de la Culture.

La situation de la culture, et plus particulièrement celle de la culture contemporaine, est en France trop préoccupante pour que l’on cherche à vous faire grief de vos actions et égarements passés.

Vous serez jugé sur vos actes à venir, ni sur votre passé, ni évidemment sur vos paroles et promesses dont les événements politiques récents ont montré combien elles sont dévaluées.
Il vous faudra donc également oublier que vous avez été porte-parole de l’UMP, et vite vous convaincre que le dire ne saurait, aujourd’hui moins que jamais, tenir lieu de faire.

Après de longues séries de promesses non tenues, et après avoir été mille fois démentis par les faits, vos mots sont usés.
On n’écoute plus que les actes, et l’on reste sourd aux paroles !

André Rouillé.

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Urs Fischer, vue de l’exposition «Rouge comme le feu mais mort comme l’hiver», 2004. Courtesy Centre Georges Pompidou.

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