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Beautiful Me

PKatia Feltrin
@30 Jan 2008

Avec Beautiful Me, Gregory Maqoma propose un solo engagé, questionnant l’identité, le colonialisme et l’indifférence des politiques à l’égard du SIDA, fléau n°1 en Afrique du Sud. Pour composer sa chorégraphie, il intègre des matériaux commandés à trois de ses amis chorégraphes : Akram Kahn, Faustin Linyekula et Vincent Mantsoe.

Plongé dans le noir complet, le violon fait vibrer son âme. Un torrent de lumière se répand sur le corps du danseur : hiératique, Gregory Maqoma apparaît : sculptural, comme surgissant de l’ombre.
Son kimono de soie rouge et noir, sa danse rappellent d’autres racines que celles de l’Afrique : celles de la Chine, du Taï chi chuan et des arts martiaux, le kung fu en particulier, notamment dans cette manière d’intégrer les spiritualités animales à sa gestuelle.

Lors de la rencontre organisée à la suite du spectacle, Gregory Maqoma explique que cette première partie est consacrée aux matériaux proposés par son ami d’enfance de Sowetho, le chorégraphe Vincent Mantsoe, qui mêle danse traditionnelle africaine, danse contemporaine et danse asiatique (Taï chi chuan, arts martiaux, danse balinaise). Gregory a travaillé avec lui sur la figure du paon, qu’il a d’ailleurs eu particulièrement de mal à faire sienne.

Ce fut, ce soir, totalement réussi. La plaquette vantait les talents d’un « danseur extraordinaire »… sa danse déliée, son sens musical, l’incroyable harmonie avec les musiciens le confirment. C’est peut-être aussi la spiritualité qui hisse l’extrême technicité de la danse vers un état de grâce — agilité, souplesse, rapidité, changement de rythme et d’états foisonnant, mixité permanente des influences de la danse.

Gregory Maqoma avance vers le public, lui parle, avec ou sans micro, dans une langue traditionnelle, un ramage d’oiseau ou en anglais. Son corps accompagne musicalement les musiciens, ses pieds percutent le sol. Akram Kahn n’est pas loin dans cette complexité rythmique. Des tremblements du buste, des mains, des bras accompagnent les trémolos du violon.

Puis il rejoint dans une diagonale les trois micros et entame un dialogue avec le chorégraphe Faustin Linyekula, qu’il interpelle en anglais : « Salut Faustin, nous avons discuté plusieurs fois de l’espace, et je sais que l’espace est important pour toi (…) Nous avons parlé d’occulter des noms et d’occulter l’histoire. »
Très politiquement engagé, Faustin Linyekula l’invite donc, par cette collaboration, à réfléchir sur l’histoire africaine, à nommer les personnages historiques comme les présidents blancs de l’Afrique du Sud, par exemple.

Progressivement, Gregory devient Faustin « Je suis Faustin Linyekula Ngoyi. Je viens de la République Démocratique du Congo, ex-Zaïre, ex-Congo Léopoldville, ex-état libre du Congo, ex-propriété privée de Léopold II, roi de Belgique. (…) Je suis Faustin et j’ai plein d’histoires exotiques à raconter. Alors, laquelle voulez-vous entendre ce soir ? (…) Je suis un danseur africain. Je vends des histoires exotiques pour survivre. »

Faustin et Gregory ont conscience que leur survie dépend de leurs prestations chorégraphiques dans les ex-pays colonisateurs, que la « niche commerciale » réside dans l’exotisme. C’est une façon d’exorciser ce sentiment et de dépasser cette nouvelle Apartheid culturelle.

Au centre de l’espace, se dessine au sol, lumineuse, une rose des vents à seize branches. Gregory y entame une « Conversation avec le public et les super-puissances ».
De part et d’autre de l’étoile, il évoque des dates et des noms de chefs d’État. Il ne veut pas oublier l’histoire, perdre le fil de son identité. « Si je me trouvais face à Jacob Zuma (ex-Vice-Président de l’Afrique du Sud) qu’est-ce que je dirais ? Combien de douches prends-tu par jour ? ». Propos qui prennent tout leur sens quant on sait que Jacob Zuma s’est vanté d’avoir eu une relation sexuelle sans préservatif avec une femme séropositive et d’avoir été immunisé par une simple douche. Ses dires, relayés dans la presse, ont créé une véritable controverse en Afrique du Sud, alors que la première cause de la mortalité dans ce pays est le SIDA.

Et il continue : « En face de Georges Bush, qu’est-ce que je dirais ? Rentre chez toi ! ». « Si j’étais en face de Dieu, qu’est-ce que je dirai ? » « Es-tu le numéro 1 ? »

Parvenu à cette dernière et divine puissance, la musique indienne remplit l’espace de sa féminité, cithare et chant conjugués.
Sur ce fond sonore, Gregory danse et parfois parle de « reproduire sa propre existence », de « reconstruire le passé ». Puis c’est au tour d’un monologue radiophonique de prendre la relève : « le passé n’est pas mort… ». Enfin, le danseur pose une dernière question : « Je pourrais prononcer mon propre nom ? », à laquelle il répond, humble et timide : « Gregory ».
La lumière s’éteint et vibre à nouveau l’âme du violon. Le spectacle finit comme il a commencé.

Solo interprété par Gregory Maqoma et quatre musiciens.
20h30 (relâche dimanche 27)
Durée : 1 heure

— Mise en scène : Gérard Bester
— Musique, création sonore composition musicale et interprétation de Poorvi Bhana, Bongani Kunene, Given Mphago, Isaac Molelekoa, (cithare électrique, violon, violoncelle, percussions), texte radiophonique de Wole Soyinka
— Lumière : Michael Mannion
— Costumes : Sun Goddess

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