ART | INTERVIEW

Autour de I’ve never done this before

Barbara Matijevic et Giuseppe Chico continuent à observer la culture amateur des vidéos postées sur Youtube. Grâce aux avancées techniques, l’individu est devenu malgré lui un générateur de récits. A travers un répertoire subjectif, les artistes esquissent, avec I’ve never done this before, une sorte de poétique des représentations maison.

Quel est le projet de départ de I’ve never done this before?
Giuseppe Chico et Barbara Matijevic. Cette pièce est axée sur le repérage, l’exploration et la transmission d’un certain type de pratiques amateurs, disons celles qui intègrent des outils technologiques. Le projet vise à révéler les potentialités que recèle une approche de la réalité spécifique à l’univers du «DIY» («do it yourself» ou «faites-le maison»). C’est un univers en pleine expansion, où chacun fait les choses soi-même à sa façon et selon ses talents. Et cet univers ouvre des portes vraiment très variées. Dans ce monde, on peut inventer des provocations conceptuelles, développer des interfaces innovantes, détourner des produits utilitaires, s’approprier des pratiques pour en faire autre chose.

Stéphane Bouquet. Comment avez-vous choisi les types d’univers?
Giuseppe Chico et Barbara Matijevic. De manière subjective. Nous avons esquissé un répertoire – lacunaire et insolent – de l’imaginaire qui se dégageait de ces pratiques après avoir passé beaucoup de temps à naviguer sur les forums et les sites de partage vidéo liés au monde du DIY. Ce monde est vraiment très actif sur Internet. Ce répertoire s’est construit en tenant compte de la propension de certaines approches à générer des récits et à dégager des esthétiques propres au théâtre. Nous avions donc deux critères, pas absolus, mais quand même importants: est-ce que la pratique amateur diffusée était susceptible de générer une histoire? Est-ce qu’elle pouvait susciter un sentiment spectaculaire, même minime? À partir de ces deux critères, nous avons fait notre choix.

Stéphane Bouquet. Une fois que vous aviez les vidéos, comment avez-vous travaillé?
Giuseppe Chico et Barbara Matijevic. Nous avons considéré ces vidéos comme de véritables modèles de comportement, des comportements structurés que Barbara interprète sur le plateau en les suivant plus ou moins à la lettre. Elle travaille donc à partir de dispositifs et d’objets DIY directement inspirés du Net. Les objets ont été conçus en collaboration avec l’artiste croate Ivan Marusic Klif. L’approche de Klif est résolument pluridisciplinaire. Il aime l’accumulation, le bricolage et la diversité des formes, les performances interactives.

Stéphane Bouquet. Y a-t-il une histoire, une dramaturgie?
Giuseppe Chico et Barbara Matijevic. Chaque scène est centrée autour de l’introduction d’un nouvel objet dont les caractéristiques déclenchent des actions et des récits différents.

Stéphane Bouquet. Quel genre de récits?
Giuseppe Chico et Barbara Matijevic. Nous avons porté une attention particulière à ces tranches de la vie quotidienne qui, avant l’avènement de la vidéo amateur en ligne et le développement de moyens technologiques plus performants, étaient exclues de la vidéo amateur telle qu’elle est apparue avec les premières caméras super-8. Ce qu’on voyait, à l’époque dans ces films super-8, c’était une représentation très stylisée et finalement très conventionnelle du monde: une sortie en famille, la visite des parents, l’enthousiasme d’un anniversaire au moment de souffler les bougies, tout le monde faisant le «clown» autour de l’appareil, les enfants et les nourrissons qui jouent entre eux. Nous nous sommes demandés si ces nouvelles plateformes de visibilité avaient ce genre de capacités, si elles pouvaient inventer leurs propres tranches de la vie quotidienne, au pire comme distorsion du réel et espace de simulation, au mieux comme une forme d’auto-représentation inventive et comme un déclencheur d’identités.

Stéphane Bouquet. C’est donc un spectacle à vocation politique?
Giuseppe Chico et Barbara Matijevic. Disons que dans le monde où la distinction entre la fiction et la réalité a été inversée, où la publicité, le merchandising et la politique sont devenus les plus grands fournisseurs de fiction, où la société est totalement bureaucratique et administrée, nous avons vu dans la nature informelle, inorganisée, fortuite, souvent inopérante et chaotique de l’imaginaire des bricoleurs en ligne non pas seulement un terrain de jeu mais un véritable champ de bataille sur la nature de l’identité humaine.

Propos recueillis par Stéphane Bouquet en mai 2015 pour le Théâtre de la Cité internationale.

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