INTERVIEWS

Audience

PSmaranda Olcèse-Trifan
@09 Juin 2011

Les gens d’Uterpan investissent la ville ! A des horaires des plus variés, dans plusieurs arrondissements de Paris, les passants ont pu être interpellés par la présence de rangées de chaises occupées par des spectateurs. Avec cette Audience d'un nouveau genre, Annie Vigier et Franck Apertet continuent à questionner les normes qui régissent le spectacle vivant et l’exposition.

Le rendez-vous est donné à la manière d’une conspiration, on s’agglutine entre la cabine téléphonique et le kiosque, on confirme son nom sur une liste, on attend. L’heure venue, on se met enfin en mouvement, en petit cortège, on traverse la place. Des rangées des chaises nous attendent, on s’installe : on est prêts pour une heure inouïe que chacun va vivre à sa manière : bain de soleil quasi estival ou crainte d’une averse de pluie, traversée de l’histoire de l’art performatif, introspection, échange…

La proposition est d’autant plus forte qu’elle s’inscrit de manière explicite dans le champ de la danse, à travers un protocole par ailleurs plus typique de l’art contemporain. C’est un déplacement d’envergure qui est à l’œuvre. Il ne s’agit pas seulement de déloger la danse de ses lieux de prédilection, de la placer littéralement au cœur de la cité et du quotidien – cela a été fait à maintes reprises depuis la post-modern dance. Il convient surtout de la faire sortir de ses gonds, d’en faire voler en éclats les cadres qui définissent les statuts de spectateur, de programmateur, de chorégraphe, les modalités d’énoncé, de production et d’apparition de la performance.

Le champ chorégraphique voit ainsi ses a priori exposés pour une remise en question acérée. Sa topographie est bousculée. La question de la responsabilité est plus que jamais au centre du projet. Responsabilité de l’individu qui doit négocier et assumer sa place dans un jeu explicite et néanmoins troublant au sein du contexte urbain – regardeur-regardé exhibé en plein jour et au plein milieu de l’agitation habituelle. Responsabilité de l’institution qui doit s’impliquer de manière active dans le processus, surtout revoir et élargir sa taxinomie de l’art et de l’action culturelle. Les gens d’Uterpan affirment leur volonté de mettre jour les mécanismes sociaux et les conventions qui relient pratiques artistiques et engagement politique. C’est l’un de moteurs du projet re/action, dont Audience, la pièce présentée ces jours-ci fait partie.

Mais, étonnement, le modèle du spectacle revient malgré tout, malgré cette tentative de déstabilisation des Gens d’Uterpan. Il se peut qu’une autre personne conviée pour l’occasion succombe à un besoin irrépressible de spectacle et demande à des gamins du quartier de se produire devant ce parterre placé en dispositif frontal. On applaudit généreusement, de manière racoleuse, amusés, et l’on est surpris quand ces enfants de moins de huit ans demandent à être payés pour leur prestation ! Le modèle se reproduit à l’identique, la question économique et sociale revient en force. Ce fait est symptomatique de l’emprise des cadres d’action qui conditionnent les individus, et du refus instinctif de certains à investir leur nouveau rôle d’acteurs. Il est tellement plus rassurant de s’en tenir à tout prix à sa place de spectateur, dès qu’on se retrouve assis sur des chaises disposées en rangées parallèles, on attend le spectacle. On a tellement besoin d’un évènement – écouter la rue, la ville le quotidien semble ne pas suffire.

Il se peut aussi que le cortège d’une manifestation arrive avec son vacarme, rythmes et slogans. « D’ailleurs nous sommes d’ici ! » résonne de manière particulière à la proposition des Gens d’Uterpan. Heureuse coïncidence ?! Ce jour-là le social avait choisi de se manifester dans la rue et il s’est invité dans l’œuvre. Puis la manifestation passe, les cars de CRS clôturent le cortège. A 16h on nous annonce : « l’audience est terminée! »

Tout autant que le moment proprement dit de l’Audience que les participants arrivent à s’approprier ou à détourner de maintes manières, c’est le processus de sa mise en place qui est passionnant. Nous reviendrons bientôt avec un entretien à ce sujet.

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