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Allégories animalières

PAndré Rouillé

On a déjà repéré deux personnages assez différents, le pénis et le miroir, qui ont occupé une place étonnamment importante sur la scène artistique parisienne au cours de ces dernières semaines. L’exposition de la Jeune Création à la Villette (jusqu’au 2 mars) en fait apparaître un troisième : l’animal. Pas moins de douze artistes mobilisent d’une manière ou d’une autre des animaux.

On a déjà repéré deux personnages assez différents, le pénis et le miroir, qui ont occupé une place étonnamment importante sur la scène artistique parisienne au cours de ces dernières semaines. L’exposition de la Jeune Création à la Villette (jusqu’au 2 mars) en fait apparaître un troisième : l’animal. Pas moins de douze artistes mobilisent d’une manière ou d’une autre des animaux.

Les précédents ne manquent certes pas : la vidéo Coyote (1974) de Beuys, plus récemment la vache et le veau de Damien Hirst (Mother and Child Divided, 1993), l’autruche de Maurizio Cattelan, le cochon de Wim Delvoye, et bien sûr l’artiste russe Oleg Kulik qui se mettait à quatre pattes, aboyait et menaçait de mordre les spectateurs.

A l’exposition de la Jeune Création, les travaux d’Hélène Benzacar, de Céline Cléron, de Nicolas Darrot, ou encore de Lluis Villuendas I Lleixa, n’accordent pas la même place ni le même traitement à l’animal. Mais un point les rassemble: l’animal est dans toutes ces œuvres inscrit dans une sorte d’allégorie animalière.
L’allégorie fonctionne sur le principe du palimpseste. Elle ne vise pas à rétablir une signification originelle perdue ou obscure, elle ajoute et substitue une signification à la signification antérieure.

Sur le mode ironique, Cécile Cléron refaçonne des mannequins de couturières pour leur donner des formes animales. Mesure-modèle du corps humain idéal, le mannequin acquiert ainsi la corpulence et les postures d’animaux. Il perd son usage pratique au profit d’une fonction signifiante. Un passage est frayé entre le monde humain et le monde animal, entre leurs corps : entre une animalité de l’homme et une homisation de l’animal…

Depuis plusieurs années, Hélène Benzacar photographie des animaux empaillés. Comme une momie, mais aussi comme une photographie, l’animal empaillé est immobile, figé dans la pose conçue par le taxidermiste, préservé des ravages du temps. C’est une sorte de photographie en trois dimensions. La photographie d’un animal empaillé est littéralement une image d’image : une pure allégorie. L’apparence de brillance dans les poils, d’intentionnalité dans le regard, et de naturel dans la pose créent une impression de vie. Comme si le processus photographique avait redonné vie au loup naturalisé. Le faire-vivant de la photographie à partir de la mort comme allégorie de la mimesis.

Lluis Villuendas I Lleixà présente un ensemble de photographies de jouets en forme d’animaux, à proximité d’exuvies de cigales et d’une installation-vidéo composée d’une cassette-sculpture dans laquelle sont intégrées des araignées et des fourmis — l’image projetée à l’écran figure la cassette elle-même en action avec les insectes.
Les animaux et la photographie servent à Lluis Villuendas de supports et de matériaux pour interroger la représentation et la perception dans la construction de la réalité ; pour affirmer la priorité qu’il accorde à la surface sur la profondeur; pour utiliser la photographie comme un peintre et non comme un photographe ; pour s’effacer en tant qu’artiste : pour devenir imperceptible.

Quant à Nicolas Darrot, il fabrique des animaux-machines, ou des machines étrangement animales. Non pas des machines pour servir, mais des machines célibataires, dépourvues de la moindre fonction pratique, sauf celle de signifier poétiquement.
Ses drones, qui sont des objets volants extrêmement menaçants, entre insectes et engins de guerre, tracent dans son œuvre un nouveau type de relations entre l’homme et l’animal. Les insectes ailés équipés de batteries de missiles et d’autres armes de destruction (massive) trahissent un fort sentiment d’insécurité. Armés, les minuscules insectes menacent l’humanité. Une allégorie du monde d’aujourd’hui ?

André Rouillé

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Céline Cléron, Sans titre, 2002-2003. Tissu, bois, polystyrène, métal. Installation. Chaque pièce : 140 x 80 x 30 cm environ. Photo : paris-art.com ; courtesy : Céline Cléron, Exposition Jeune Création.

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