ART | EXPO

Alchemy Box

03 Juin - 18 Juil 2010
Vernissage le 02 Juin 2010

L’exposition «Alchemy Box» s’intéresse à la notion de montage. Elle fait plus précisément l’hypothèse d’un montage qui esquiverait les formes conventionnelles de construction sémantique pour explorer d’autres modes d’apparition du sens.

Isabelle Cornaro, Morgan Fisher, Ryan Gander, Mark Geffriaud, Wade Guyton, Jimmy Robert, John Stezaker
Alchemy Box

A partir d’un choix d’œuvres de la collection du Frac Île-de-France. Commissaire de l’exposition: Christophe Gallois

«Si j’ai fait de l’alchimie, c’est de la seule façon qui soit de nos jours admissible, c’est-à-dire sans le savoir.» Marcel Duchamp, 1959

Prenant comme point de départ une série d’œuvres récemment acquises par le Frac Île-de-France, l’exposition «Alchemy Box» s’intéresse à la notion de montage. Elle fait plus précisément l’hypothèse d’un montage qui esquiverait les formes conventionnelles de construction sémantique pour explorer d’autres modes d’apparition du sens: à travers des procédures qui relèvent par exemple de l’illogisme, de la constellation, du déplacement ou de l’aléatoire, générant une certaine alchimie du sens.

Le titre de l’exposition est emprunté à un groupe d’œuvres de Ryan Gander, une série de boîtes de natures et de formats variés, contenant des objets et des documents provenant des archives de l’artiste. Describe the effect of watching a Godard film (Alchemy Box No. 13) (2009) renferme par exemple, parmi une vingtaine d’autres éléments, des décalcomanies représentant l’évolution de la forme de la lune dans la semaine du 27 août 2031, un ticket à gratter de la National Lottery et une page extraite d’un livre pour enfants contenant un jeu des sept erreurs. La boîte est scellée, et le spectateur ne peut prendre connaissance de son contenu que par l’entremise d’une liste placée au mur. Les éléments qu’elle recèle se combinent sur le mode de ce que nous pourrions appeler le «degré zéro» du montage: on imagine volontiers une organisation quelque peu aléatoire dans la boîte, un montage tenant du bric-à-brac.

Les collages de John Stezaker partagent avec les Alchemy Boxes de Ryan Gander ce même «degré zéro» du montage. Réalisées à partir d’images trouvées dans des magazines vintages, de photographies de plateau, de portraits d’acteur ou de cartes postales, ses œuvres se caractérisent par une certaine brutalité du cut: elles combinent le plus souvent deux images qui semblent ne rien avoir en commun ou qui s’articulent autour d’une opposition. Les images sont superposées, juxtaposées en suivant différents axes de coupe ou combinées selon des procédures arbitraires. Le collage travaille ici une certaine hétérogénéité; il «expose les coutures». A travers ces modes d’associations, les images sont «libérées de leurs obligations culturelles», libérées, en quelque sorte, de leur sens.

Le film ( ) de Morgan Fisher se compose «d’inserts» extraits de films commerciaux des dernières décennies: de courts plans cinématographiques, reprenant généralement un détail de la scène dans laquelle ils s’intègrent, utilisés comme transition entre des plans plus importants. Les inserts sont ici détachés de leur fonction initiale, «de leur servitude à la narration». Comme chez Stezaker, cette libération du sens prend toute son ampleur dans leur mode d’association: ( ) n’est en effet pas monté au sens traditionnel du terme; il est plutôt «construit», en suivant une règle fixée en amont, ne tenant pas compte du contenu des images. Le film fait écho aux procédures de montage développées par Raymond Roussel dans ses livres Impressions d’Afrique et Locus Solus, dans lesquels Michel Foucault reconnaissait «un grouillement sémantique de différences». Dans ( ), cette polysémie est travaillée au niveau de l’écart entre les images.

Cette question de l’écart comme lieu d’émergence du sens est également au cœur des œuvres de Mark Geffriaud. Ses installations développent des modes d’association qu’il rapproche du modèle de la constellation: les images se déploient dans l’espace selon des dynamiques de juxtaposition, d’interaction et de projection mettant à jour des glissements et des fluctuations de sens. Comme le souligne l’artiste, l’enjeu de ces associations concerne en premier lieu la relation entre les images: «Je voulais, dit-il à propos de sa série «Les Renseignements Généraux», moins porter l’attention sur les images individuelles que sur les distances entre elles, sur les références formelles évoquées par leur juxtaposition, comme des courts-circuits entre des époques et des genres qui laissent entrevoir un histoire souterraine, non linéaire.»

Le même intérêt pour la mise en espace du montage se retrouve dans l’installation Untitled (2006) de Wade Guyton. L’œuvre se compose de quatre cadres en bois, combinés pour former une large structure rappelant la forme d’un châssis de peinture. Pas de toile tendue sur ces cadres, mais une surface transparente, composée de deux couches de plexiglas, entre lesquelles sont insérés ce que Guyton nomme des Printed Drawings: des pages extraites de catalogues ou de magazines d’art, sur lesquelles l’artiste a imprimé, en surimpression, différents motifs, en l’occurrence des images «génériques» de flammes et des bandes horizontales rouges et noires. Ces motifs entretiennent des relations ambiguës avec les images présentes sur les documents imprimés, comme si leur apparition résultait du hasard, de l’interférence ou du parasitage.

Chacune des photographies de la série «Cinesculpture» d’Isabelle Cornaro juxtapose, sur un fond noir, deux feuilles blanches de format identique. Quelques lignes sont tracées sur l’une des feuilles, tandis que l’autre est simplement pliée. Les deux plans se répondent en suivant les règles d’un discret jeu formel entre les lignes de différentes natures — le trait, le pli, l’ombre —, renvoyant à différentes modes de projection dans l’espace. Dans sa série «Sans-Souci», les différents plans qui structurent les vues d’un lot de photographies du parc de Sans-Souci à Potsdam sont représentés sous la forme de bandes de papier juxtaposées verticalement, tandis que les motifs de l’image — fontaines, arbres, etc. — sont transposés à l’aide de mèches de cheveux venant se glisser entre les bandes de papier. Le même processus de déplacement et d’abstraction de formes emblématiques de certains systèmes de représentation est au centre d’une nouvelle série d’œuvres réalisées pour l’exposition, pensées comme des montages d’objets dont l’organisation aléatoire renvoie au modèle du «vide-poche».

Les éléments qui constituent l’installation Untitled (2006) de Jimmy Robert — une photographie d’une boule de papier froissée, un portrait recouvert de reliefs en papier, les restes d’un texte effacé au mur — sont disposés dans l’espace comme les traces d’une performance passée, «en suspension, dans l’attente d’une disparition ou d’un réagencement complet.» L’installation se caractérise ainsi par une certaine instabilité: «La représentation est essentiellement volatile pour moi. Essaie de la fixer, et elle t’échappe instantanément. La représentation échoue, mais sa vulnérabilité est attractive et, au final, le médium questionne sa propre autorité.» Cette instabilité se retrouve dans les œuvres bidimensionnelles de l’artiste, où le montage est souvent appréhendé dans sa capacité à mettre en contact les hétérogènes, à questionner les codes de représentation, notamment en travaillant la réalité physique des images. Ses œuvres travaillent une certaine porosité des images, entre ce qu’elles représentent et leur matérialité, mais aussi entre elles.

La question de la porosité des images traverse en fait l’exposition «Alchemy Box» dans son ensemble. Derrière ces différentes figures du montage, se dessinent autant de tentatives d’imaginer des modes d’association dans lesquels le sens s’échappe des images pour se reformer ailleurs, différent, au contact d’autres images, d’autres objets, d’autres documents.

Informations pratiques

L’exposition «Alchemy Box» est présentée du 3 juin au 18 juillet 2010, tous les jours sauf les mardis et les jours fériés, de 12h à 18h, entrée libre.

Publication
Dans le cadre de l’exposition, est publié Alchemy Box, aux Editions de l’œil.

 

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