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Alain Platel

Alain Platel, et les surprenants Ballets C de la B, évacuent la danse de tout contexte, la dépouillant de certains artifices, à la recherche d’une plus grande liberté de corps et de ton. Le chorégraphe belge nous introduit dans son univers baroque et, toujours, émouvant.

Camille Paillet. Diriez-vous que votre dernière pièce Out of Context, de par sa forme épurée, est en rupture par rapport à l’ensemble de vos œuvres?
Alain Platel. Je pense qu’il est très difficile de faire vraiment des ruptures. Il y a toujours une histoire qui continue. Je vois par exemple des liens avec des pièces comme Nine Finger, conçue à l’initiative de Fumiyo Ikeda, ou comme Nachtschade, réalisée dans le cadre d’un projet pour la maison de production Victoria qui réunissait plusieurs chorégraphes autour d’un travail collaboratif avec des stripteaseuses. De plus, avec les danseurs, nous avons continué à développer le langage physique présent dans Vsprs et Pitié, mais cette fois-ci en dehors d’un contexte très précis, c’est-à-dire sans référence à une musique de Bach ou de Monte Verdi par exemple. Ce qui change dans cette pièce, c’est que nous sommes confrontés à un langage assez nu, avec des corps qui le sont littéralement.

Les danseurs commencent par se déshabiller sur scène, pour quelle raison? Et pourquoi pas, alors, une nudité plus radicale?
Alain Platel. Je suis assez pudique dans ma manière de présenter le corps sur scène. C’est très rare que je représente un corps complètement nu. Je m’imagine toujours à la place des danseurs et des acteurs et je pense que ça ne doit pas être forcément très agréable pour eux. D’une manière générale, je n’aime pas la nudité totale, même en tant que spectateur. En plus, je trouve qu’il y a quelque chose de touchant dans cette exhibition en sous-vêtements. On reste toujours lié à une personnalité, dans le choix du caleçon par exemple.

Quelles sont les fonctions esthétiques et chorégraphiques de ces couvertures rose-saumon présentes tout au long de la pièce?

Alain Platel. Je suis parti d’une idée: avoir le moins d’éléments pour se déguiser et se cacher derrière. Les couvertures sont utilisées pour se protéger de l’extérieur, pour ne pas avoir froid. Le premier jour des répétitions, il y avait ces couvertures dans le studio. Elles étaient utilisées pour des cours de yoga. Je les ai trouvées très belles et j’ai demandé aux danseurs de les porter sur eux, pour voir ce que ça pouvait donner. J’ai trouvé l’image tellement forte d’un point de vue esthétique que j’ai décidé d’inclure ces couvertures dans la pièce. Dès les premiers jours du travail, c’était clair, on avait déjà trouvé les costumes.

Vous avez dédié Out of Context à Pina Bausch. Quelle influence cette chorégraphe a-t-elle dans votre travail?
Alain Platel. Pina Bausch est très importante pour moi. Je crois que toutes mes pièces portent l’influence de son travail, même si c’est de manière indirecte. Au début des années 80, quand j’ai découvert ses pièces, j’ai été tout d’abord choqué de voir quelqu’un qui donnait (enfin!) la parole à ses danseurs et montrait qu’ils n’étaient pas seulement des corps qui bougeaient, mais aussi des personnes avec une identité…
Je crois qu’elle a une influence immense sur tous les chorégraphes et metteurs en scène de notre époque. Le choix du titre Out of Context était décidé depuis un an, mais après avoir assisté à une commémoration de Pina Bausch organisée à Wuppertal en septembre dernier, j’ai décidé de rajouter au titre « for Pina ». Par contre, je n’ai pas voulu faire des références directes en utilisant des extraits de ses spectacles, par exemple. Si les gens associent certaines scènes de Out of Context avec son travail, c’est la preuve d’une imprégnation et d’une digestion progressive de son vocabulaire. Pour notre représentation au Théâtre de la Ville, nous avons eu la chance qu’Antonio Carallo, ancien danseur de Pina Bausch, soit à Paris pendant cette période. Il nous a fait le cadeau d’une petite intervention dans la pièce en apparaissant avec la robe blanche que Pina portait dans Café Muller. Mais c’est surtout un concours de circonstances…

D’autres artistes vous ont-ils inspiré pour cette pièce?
Alain Platel. Oui. Une artiste gantoise notamment, Berlinde de Bruyckere. C’est quelqu’un qui fait des sculptures, elle m’influence énormément. Les images de son travail sont présentes dans le studio depuis dix ans. Nous échangeons beaucoup sur nos travaux respectifs sans pour autant nous copier. Un dialogue s’est installé aussi entre elle et les danseurs, qui posent pour ses sculptures.

J’aimerais que vous nous parliez d’une séquence de la pièce où les danseurs chantent des tubes au micro, dans une ambiance de dancing. Pensez vous que les danses « populaires » — de la valse à la Tecktonik — ont leur place sur la scène d’un théâtre?
Alain Platel. Je pense que la danse contemporaine se prend très au sérieux. Tous les discours que l’on mène autour de la danse contemporaine m’échappent un peu, et j’ai parfois l’impression qu’on oublie qu’il y a un côté très festif dans la danse. Elle ne sert pas toujours à exprimer la douleur, elle peut aussi montrer la joie. Cette scène est venue un peu par hasard. J’avais demandé aux danseurs un petit exercice: construire quelques enchainements de mouvements inspirés de cet univers de boite de nuit. Je voyais qu’ils s’amusaient tellement, qu’ils s’encourageaient les uns les autres à aller encore plus loin dans la création, que je me suis dit: il faut que l’on trouve une place pour cette scène dans la pièce. Et puis ce « Out of Context » nous donnait une liberté énorme… C’est une pièce assez baroque dans le sens où l’on passe étrangement d’une atmosphère à une autre. Mais elle reste cohérente par la forme rituelle du déshabillement, la couverture rouge devenant littéralement le fil rouge de la pièce.

Quelle serait, selon vous, la différence entre un mouvement chorégraphique et celui que l’on peut observer dans l’espace public et quotidien?
Alain Platel. Pour moi, il n’y a pas de différence entre ces deux types de mouvement. Je mets d’ailleurs sur un même plan la musique populaire et la musique sérieuse, c’est-à-dire la musique classique. Je pense que, quand nous sommes touchés par une musique, c’est égal si cela vient de Mozart ou de Céline Dion puisqu’au final, nous sommes émus de la même façon.

Comment qualifierez-vous justement l’utilisation de la musique dans Out of Context?
Alain Platel. J’ai senti une grande liberté dans le choix des musiques puisque contrairement aux autres créations, il n’y avait pas de point de départ musical spécifique. Je voulais travailler sur la voix avec les danseurs. Je sais que les danseurs sont assez gênés d’utiliser la voix, ce n’est pas forcément leur point fort. Mais j’étais curieux de savoir s’ils avaient envie de dire quelque chose, de communiquer avec la voix. Pour les aider, j’avais posé deux micros dans le studio et très vite ces objets sont devenus des outils de travail que j’ai gardés dans la pièce.

Qu’en est-il du langage corporel?
Alain Platel. Je ne suis pas sûr de pouvoir donner un nom à cet état de corps. Je l’appelle « la danse bâtarde » dans le sens où je ne cherche pas un style particulier. Mon langage physique peut faire référence à tous les mouvements de danse, de la danse classique au hip-hop. Je ne me suis jamais senti coincé ou obligé de chercher un style qui serait significatif de mon travail, je laisse toujours une grande liberté aux danseurs. Et puis, comme nous avons envie de parler des êtres humains en tentant de répondre à la grande question: « qu’est-ce que c’est vivre ? », cela ne peut pas prendre une direction unique. Je crois que nous sommes des êtres très baroques.

Qu’est-ce que vous entendez par « baroque »?

Alain Platel. Complexe, avec des couches très différentes, des contrastes. L’humanité possède des caractéristiques très belles mais très noires aussi. On peut être fort et en même temps vulnérable, on peut se sentir en pleine confiance et être tiraillé par le doute… Entre tous ces extrêmes, des variations sont possibles. J’ai envie de montrer la complexité des êtres humains.

Quelle serait la fonction première de la danse?

Alain Platel. Je pense que la danse a toujours eu la fonction d’exprimer ce qu’il est difficile, voire impossible de dire avec des mots. Je crois qu’elle parle de nos sentiments, de nos émotions, de ce qui se vit au plus profond de nous même. Ce qui m’a toujours fasciné et que j’ai cherché à montrer à travers la danse, c’est cette tension permanente entre l’individu et le groupe. Je cherche à comprendre comment le groupe peut renforcer l’individu ou parfois se transformer en danger. Dans la scène de boite de nuit, on perçoit surtout la solitude (je crois) même si c’est quelque chose qui se passe collectivement.

J’aimerais revenir sur un évènement marquant qui s’est produit lors de la première au Théâtre de la Ville. Dans la dernière scène, au moment où les danseurs invitent les personnes du public à les rejoindre pour danser, le chorégraphe iranien Afshin Ghaffarian — qui a été contraint de s’exiler en France, ne pouvant exercer son métier dans son pays — est monté sur le plateau en criant: « Moi, je veux danser ! ». Comment avez-vous perçu cette intervention?
Alain Platel. C’est vrai qu’à la fin du spectacle, il y a cette possibilité donnée au public de venir sur scène pour danser. Ce n’est pas quelque chose que nous voulons à tout prix car nous pensons que ce moment est d’autant plus fort qu’il ne se passe rien et que le public reste dans la salle, avec cette hésitation. Mais dans le cas de ce jeune chorégraphe iranien, cela nous a énormément touchés. Je ne connaissais pas cette personne, son intervention n’était pas prévue. Après la représentation, il m’a raconté son parcours, cela a marqué ma conscience. J’ai trouvé incroyable que cette histoire bouleversante intègre la pièce, que le monde de l’extérieur entre violemment dans cet Out of Context.

Après Out of Context, avez-vous déjà un projet de création en cours?
Alain Platel. Nous commençons une nouvelle création au mois de mars, il s’agit d’une pièce de théâtre visuel. Le projet est né de l’invitation d’une amie transsexuelle que je connais depuis dix ans. Tout ce que je peux dire pour l’instant, c’est que ce sera une création collective avec un groupe de femmes-hommes d’un certain âge…

Concept et mise en scène : Alain Platel
Dramaturgie : Hildegard De Vuyst
Assistante à la mise en scène : Sara Vanderieck
Costumes : Dorine Demuynck
Lumières : Carlo Bourguignon
Son : Sam Serruys
Dansé et créé par : Elie Tass, Emile Josse, Hyo Seung Ye, Kaori Ito, Mathieu Desseigne Ravel, Mélanie Lomoff, Romeu Runa, Rosalba Torres Guerrero, Ross Mc Cormack

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