DANSE | CRITIQUE

Agwa et Correria

PNicolas Villodre
@01 Avr 2010

Le Théâtre de Chaillot a attaqué sa semaine dédiée au hip-hop par la compagnie Käfig, rejointe sur scène par les danseurs cariocas du Brésil. Toujours aussi énergiques, les spectacles signés Mourad Merzouki divertissent à la juste hauteur de nos attentes, dans une ambiance cabaretière et bon enfant. On aime ou pas...

Qu’on le veuille ou non, la danse urbaine est entrée dans la place. Elle est devenue, bon an, mal an, une discipline à part entière du PCF (paysage chorégraphique français). Deux auteurs issus de la mouvance hip hop ont très logiquement pris la direction de centres chorégraphiques nationaux prestigieux : Kader Attou à La Rochelle et Mourad Merzouki à Créteil.

Ce dernier est, depuis 1996 − date de la relance du hip hop par les Rencontres de la Villette −, à la tête de la compagnie lyonnaise Käfig. Il a conçu Correria, une création 2010 et Agwa, qui date de 2008, deux pièces programmées par le théâtre de Chaillot dans le cadre d’une semaine mixant le hip hop − une certaine idée du hip hop, plutôt, revu et corrigé par une utopie multikulti concevant le métissage à la manière de saint Benetton − avec d’autres expressions « typiquement » brésiliennes − l’inévitable et sirupeuse bossa nova qui a tout enguimauvé sur son passage, jazz y compris ; le forro, une danse de salon plus folklorique ; des chants et des danses à la pelle.

Louables étaient les intentions de départ. Il s’agissait en effet de communiquer, d’échanger, de partager des expériences de danse. Ce, entre hommes, bien entendu: pas la moindre danseuse à l’horizon ! D’une part, le gang des Lyonnais représenté par un danseur de saint-Priest qui s’est frotté aux disciplines circassiennes mais aussi au contemporain, et a tout compris du fonctionnement de l’entertainment du côté du Rhône, de l’autre, une jeunesse pas vraiment dorée, carioca, des musclors autodidactes et résolus, cherchant à tout prix à se sortir de la mouise, de la poisse, de la ville dans ce qu’elle a de plus bidon.

Cela a donné Agwa, titre à la coquetterie graphique arabe, signifiant « eau » en portugais ou en brésilien, qui alterne habilement les solos d’un athlète hors du commun, Wanderlino Martins Neves dit « Sorriso », le seul qui soit apparemment issu du monde du hip hop, des duos plus décoratifs et des mouvements de groupe parfaitement synchronisés, à l’unisson mais sans le côté martial, brut ou brutal qu’on trouve chez certains − les membres de Membros, par exemple, programmés également à Chaillot.

La scénographie est sommaire puisqu’on s’est borné à faire l’emplette de deux sachets de cent gobelets plastiques translucides grand format. Les verres ne sont pas vraiment utilisés, si ce n’est sous forme d’empilements ou d’alignements. En revanche, Mourad Merzouki a misé sur les effets lumineux et les éclairages des corps des danseurs (signés Yoann Tivoli), qui sont d’une efficacité remarquable ainsi que sur une B.O. soulignant le côté entraînant de la samba authentique.

Correria est plus réussi, même s’il a quelques défauts ici ou là (pièce un peu trop théâtrale, pas du tout d’esprit hip hop, passages avec de la musique de superette à base de classique et même de… baroque, danse debout anecdotique, à forte tendance narrative). On a aussi une impression de déjà vu. La samba est marquée par les frappes au sol des paumes de la main ou chantonnée par les garçons de façon entêtante. On est dans l’ornement pas dérangeant, dans du post-Nikolais, du Pilobolus simplifié, du pseudo Momix, bref dans une série de numéros cabaretiers.

Tout cela n’empêche pas une mise en scène impeccable. Les duos fonctionnent. La mécanique est huilée. La course (c’est le titre de la pièce), qui se produit dans le sens anti-horaire, celui-là que suivent les adeptes du candomblé, s’accélère joyeusement tandis qu’un duo de jeunes gens se trouve au centre de l’arène illuminée.

On a droit à des manèges ralentis, à un pas de deux synchronisé sur une épaisse ligne de basse, à des duos aux accélérations et aux rétropédalages accentués par le frottement amplifié d’une chaîne de vélo sur son dérailleur, à des passages lyriques accompagnés d’arpèges de guitare classique. Et à une magnifique course sur place valorisée par la vidéo, rappelant certaines images de Georges Demenÿ, les chronophotographies d’Etienne-Jules Marey et le toutou futuriste aux mille pattes du tableau de Giacomo Balla, Dynamique d’un chien en laisse (1912).

Agwa (création 2008)
− Chorégraphie : Mourad Merzouki
− Assistant du chorégraphe : Kader Belmoktar
− Lumières : Yoann Tivoli
− Scénographie : Benjamin Lebreton
− Costumes : Angèle Mignot

Correria (création 2010)
− Chorégraphie : Mourad Merzouki en étroite collaboration avec les danseurs
− Production : Compagnie Käfig

− Avec : Diego Alves dos Santos “Dieguinho”, Leonardo Alves Moreira “Leo”, José Amilton Rodrigues Junior “Zé”, Cleiton Luiz Caetano de Oliveira “Cleiton”, Cristian Faxola Franco “Cris”, Geovane Fidelis da Conceiçao “Geovane”, Diego Gonçalves do Nascimento Leitão “White”, Aldaïr Junior Machado Nogueira, Wanderlino Martins “Sorriso”, Aguinaldo de Oliveira Lopes “Anjo”, Alexsandro Soares “Pit”

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