DESIGN | CRITIQUE

Adrien De Melo

POlivier Forgeron
@14 Sep 2011

La culture numérique aurait-elle déjà distillé son esthétique? En intégrant des éléments maintenant classiques de la création assistée par ordinateur à un fonctionnalisme sobre mais chaleureux, Adrien de Melo propose, pour sa première exposition personnelle, un nouveau contrat formaliste.

A la suite de la forme, de la fonction et du signe, le nombre est venu, avec l’avènement de l’ordinateur, rejoindre le vocabulaire de l’objet. Au prix d’une réduction du réel au calculable, l’esthétique numérique a imposé, dans les années 2000, de nouveaux référents dématérialisés. Adrien de Melo emprunte à cette modernité pour mieux la critiquer.
Un fauteuil, trois vases, une table, un banc, des tabourets; le mobilier ne jurerait pas dans un de ces environnements virtuels numériques ludiques aujourd’hui si familiers. Le fauteuil surtout (My Mountain) assoit son autorité. Véritable trône géologique, on retrouve dans ses faces cachées les beautés froides d’une simulation de relief — celle du massif alpin — et d’une géométrie aérodynamique —celle de l’avion furtif Nighthawk. De même, les vases polyédriques en faïence émaillée s’inscrivent-ils dans la tendance contemporaine du style algorithmique. Sa conception touche-t-elle plus au calcul qu’au dessin?
Paradoxalement, en réinvestissant l’artificialité, ces créations s’arrachent du «tout numérique». En revenant à la stricte et parfaite symétrie fonctionnelle, l’objet retrouve son sens. Le point d’équilibre est ici aussi un point de rupture, et les vases Point Break proposent une cristallographie de la forme à la limite de la tension atomique et de la compression minérale qui rend leur vide surprenant.

La table Sliced compose un élégant assemblage. Les pièces d’essences distinctes s’encastrent pour remembrer en un seul territoire des régions disparates. Le plateau évoque un cadastre vu d’une belle altitude. En recourant à la diversité pour créer l’unité, Adrien de Melo ne tente pas de figurer les structures végétales. Au contraire, les créations Stripes (tabouret, banc, table basse) semblent des réponses décalées aux problématiques du bio-design.

Remodelée, la fibre végétale rejoint la vibration minérale. En se rapprochant, par l’aspect, d’une succession de strates argileuses, tantôt brunes, tantôt blondes, la création prend alors un tour particulier, proche de la poterie que la douceur de l’érosion semble avoir façonné.

En métaphorisant les procédés de l’industrie du bois, en rendant visible des procédés habituellement dissimulés comme la stratification ou le placage, le concepteur réinvestit la pratique de l’ébénisterie. Restructurant le volume par un procédé de sédimentation — des couches alternées de bois d’essences et de teintes distinctes se superposent en rythmes horizontaux — il créé, peut-être pour d’autres, une nouvelle «façon» de valoriser la matière bois.

Quand le bio-design automobile a tenté de retrouver des solutions «naturelles» en pastichant l’anatomie animale, la démarche d’Adrien de Melo reconquiert les beautés de l’artificialité en repensant le bois, matière on ne peut plus durable, comme s’il était issu d’un laboratoire de recherche et développement à la pointe de la technologie. Une démarche véritablement innovante qui gagnera à coup sûr à se radicaliser.

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