ART | CRITIQUE

72 to 83 Percent of Chance

PEmmanuel Posnic
@12 Jan 2008

Quatre artistes sont réunis autour de la notion de doute et d’inachèvement. Quatre jeunes artistes entre peinture, vidéo et sculpture pour aborder notre rapport au monde et plus précisément notre rapport à la réalité. 72 ou 83% de réussite, c’est surtout 28 ou 17% de flou, d’incompréhension, d’irrésolution.

Chez Frank Elbaz, tous les doutes sont permis. «72 to 83 Percent of Chance», le titre de son exposition collective, renvoie de manière inquiétante à la chance autant qu’à l’échec. Peut-être même plus à l’échec. 72 ou 83% de réussite, c’est surtout 28 ou 17% de flou, d’incompréhension, d’irrésolution.
Quatre artistes sont réunis autour de cette notion de doute et d’inachèvement. Quatre jeunes artistes entre peinture, vidéo et sculpture pour aborder notre rapport au monde et plus précisément notre rapport à la réalité.

Dès l’entrée, Marcelline Delbecq nous cueille avec une vidéo discrète mais particulièrement envoûtante. Elle filme le portrait peint d’une femme et raconte en sous-titre l’histoire de la réalisation du tableau, mettant en exergue le rapport du peintre au modèle. Une relation étrange d’ailleurs, aussi fragile qu’intense, la frontière «matérielle» du tableau en train de se faire et qu’ils ne dépasseront jamais cristallise leurs émotions et l’impossibilité d’une rencontre.

Marcelline Delbecq s’empare de ce portrait comme d’un leurre pour mieux se focaliser sur la fiction qui l’aurait potentiellement mis à jour. Elle en révèle alors la beauté, la richesse, la complexité qui transparaissent dans cette vertigineuse rencontre. Elle en révèlent également la frustration, l’échec et le mystère: l’histoire que narre Delbecq ne se termine pas, la femme quitte la pose avant que le dernier détail du tableau ne soit achevé.

Ce sont encore ce doute et cette gêne qui occupent les toiles de Rita Vitorelli. L’artiste autrichienne s’occupe de territoires en friches où n’évoluent que des objets et des inscriptions sur de modestes panneaux. Ils sont dispersés comme jetés, malmenés et torturés par tous les bouts. Vitorelli en libère pourtant la beauté, faisant de ce décor hostile un paysage céleste dans lequel ils viennent planer.
Dans le détail, l’artiste ne mêle jamais son fond et ses formes. Mieux, elle laisse des zones sans peinture, le fond justement qui dans la plupart des cas n’est jamais recouvert et des objets, ici de multiples détritus qui vivent simplement par le trait du dessin préparatoire. Un goût d’inachèvement là aussi qui favorise l’éclat de la peinture et surtout la beauté de l’objet (peint ou non) dans sa défaite ou disons, dans sa lente agonie.

Une réalité transfigurée par la peinture chez Vitorelli. Une réalité plus embarrassée, une rappropriation moins enjouée mais tout aussi poétique chez Andreas Zybach. Le jeune allemand accroche des photographies représentant quinze vaisseaux, réacteurs ou containers spatiaux fabriqués par les scientifiques du monde entier. Des joyaux du progrès universel qui, depuis les premières conquêtes de l’espace, nourrissent l’imaginaire de chacun. Zybach les reprend et les combine dans une sculpture planante, sorte de station Mir empruntée, étrange et absurde à la fois. Le décalage de l’échelle (l’une des spécialités de Zybach) s’amuse du mythe mais celui-ci perdure pourtant dans son positivisme un peu béat.

C’est Jordan Wolfson qui réussit le parallèle le plus stimulant entre la réalité et le doute. Avec Dinosaur, il montre un aspirateur de piscine virevoltant au fond de l’eau. La vidéo le filme la nuit à la lueur des spots intégrés sous les rampes. L’appareil dessine un parcours aléatoire, une espèce de chorégraphie très lente, un ballet désopilant, curieux et comique à la fois qui nous fait douter sur sa véritable nature. Cet aspirateur au bras interminable et à la tête un peu difforme qui serpente cette piscine ne tient-il pas finalement du monstre marin, tranquille et inquiétant, aussi flegmatique que les plus grands prédateurs? Wolfson s’amuse de la comparaison et la tangente absurde qu’il nous fait prendre s’appuie sur un art consommé du genre, sur une acceptation décalée des codes du film à suspens.

Les dispositifs que ces quatre artistes mettent en place, par le biais du cinéma (la narration indéterminée de Delbecq, l’image au sens trouble chez Wolfson), de la peinture (une peinture désincarnée avec Vitorelli) ou de la sculpture (celle de Zybacq qui moque l’échelle et le mythe de l’objet, d’autant que celui-ci approche du magique) déplacent le principe d’une réalité strictement déterminée aux contours du visible. Ils s’engagent vers des territoires de fiction, plus instables, plus subtils, plus critiques, terriblement plus frustrants, ces 28 ou 17% d’imperfections qui font que le doute, le questionnement sont heureusement encore permis.

Marcelline Delbecq
— Sans titre, 2006. Vidéo couleur sur DVD.

Rita Vitorelli
— T, 2006. Acrylique et fusain sur toile. 200 x 230 cm.

Andreas Zybach
— 90 minutes, n.d. Maquette en carton.

Jordan Wolfson
— Dinosaur, 2001. Vidéo. 13 mn.

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