ART | CRITIQUE

3e édition du Nouveau festival du Centre Pompidou

PMuriel Denet
@14 Mar 2012

A l’instar de l’édition de l’an passé, qui prenait pour prétexte la notion d’éther pour traiter des rapports de l’art de la science, le «Nouveau festival» semble se faire une spécialité de puiser dans les limbes de l’ésotérisme, qui permettait, entre savoir et illusion, tout autant d’expliquer l’inexplicable, que de mystifier les crédules.

La troisième édition du «Nouveau Festival» tient toutes ses promesses de festival: il est inépuisable. À moins de jouir d’une totale disponibilité et d’être doué d’un minimum d’ubiquité, impossible de venir à bout de la programmation d’expositions, conférences, performances, tournages, projections, et spectacles, concoctée par les artistes, critiques, cinéastes ou philosophes, invités par Bernard Blistène.

La profusion des œuvres, et la singularité des propositions, dissolvent quelque peu le prétexte initial qui était l’enquête, comme forme et comme méthode. Reste cependant une idée d’exhumation, de mise à jour, de révélation, de l’invisible, du refoulé, voire de l’indicible.
La photographie, comme indice, témoin, et mode de reconstitution, qui court à travers les expositions, peut être un fil conducteur, dans une manifestation proliférante, qui invite à une déambulation, ouverte aux rencontres, au butinage, et à y revenir autant de fois que nécessaire, puisque l’accès en est libre.

W, Sebald Fiction, proposition de Valérie Mréjen
L’enquête en est le paradigme et l’objet, tant l’œuvre littéraire de W. G. Sebald en emprunte les méandres et les matériaux. Dont la photographie, dans des états et usages divers, ainsi qu’en témoignent les vitrines consacrées aux archives de l’écrivain: lettres, tapuscrits, cartes topographiques y côtoient cartes postales, photographies de l’auteur, et photographies anonymes.

Les photographies trouvées, aux puces ou dans les greniers, sont l’objet de multiples réagencements qui produisent d’autres visibilités. Céline Duval s’approprie ainsi des performances ready made, qui sont aussi des métaphores de la création: un bâtisseur de château de cartes (L’Architecte), ou un vieillard équilibriste (Parallèle 1).
Le diaporama de Sébastien Lifshitz enfile telles des perles ces photographies improbables, et tellement communes, qui montrent des gens le plus souvent de dos en train de regarder l’horizon, le lointain, un ailleurs indéterminé, comme si les regards d’une diaspora dispersée étaient aimantés vers un même Point dans le vide.
Les Parallèles aussi finissent par converger: une série de diptyques présente un couple de femmes qui se photographient mutuellement, tout au long d’une vie, chaque fois dans un même cadre ordinaire, domicile, vacances, voyages, à un intervalle de temps minime, juste celui d’intervertir la place et le rôle. Nous sommes dans les années 60, le point de convergence est ce couple absent, dont le montage montre l’invisibilité, et donc l’impossibilité, sociales.

Alors que les Figures défaites de Maïder Fortuné sèment le doute sur le témoignage photographique, en fusionnant, par un point de vue parfaitement frontal l’image et son référent. Blancs sur fond gris, les carrés de papier portent les pliures de l’origami qu’ils ont été, indices de figures disparues qui se fondent dans l’empreinte photographique.

Read Into My Black Holes, une proposition de Gisèle Vienne et Dennis Cooper
Les trous noirs sont de ceux qui font office de regard dans un masque. Un échantillon de la collection hantée d’Ossian Brown, rassemblant des photographies d’amateurs prises pendant Halloween, déploie un monde fantastique de figures démoniaques, que l’exposition prolonge avec un florilège de dessins, estampes, gravures, explorant le monde enchanté des contes et des cauchemars.

Les Mystères de l’Ouest, une proposition de Pascal Rousseau
Un au-delà qu’imaginent aussi Les Mystères de l’Ouest, titre éponyme d’un feuilleton télévisé des années 60, qui mettait en scène un savant fou aux prises avec deux agents fédéraux, dans un univers hybride de western et de science-fiction. L’exposition traque la quatrième dimension par le biais de l’abstraction, depuis les décompositions chronophotographiques de Kupka, Le Temps passe, au néon mandala de Maï-Thu Perret, légèrement anticipateur, 2015, en passant par l’image spectrale d’une femme-ange, un photogramme de Bruce Conner (Starfinger Angel, 1975).

La Voix dissociée, une proposition de Paul Bernard
La photographie est aussi une scène, où se joue tout autant le théâtre secret de Morton Bartlett, que le rappel nostalgique et lumineux d’un monde perdu, d’avant la télévision, quand les enfants pouvaient s’absorber sans retenue dans un troublant spectacle de ventriloquie (Jeff Wall, A Ventriloquist at a Birthday Party in October 1947, 1990).
Laurie Simons présente une série de portraits autographiés de ces artistes de music hall posant en studio avec leur double, rappelant les heures de gloire de ce numéro d’illusionniste, que le jeune critique Paul Bernard propose comme une métaphore de la création, de la question de l’auteur, de ces paroles sans source qui nous habitent, au sein d’une exposition stimulante où se répondent de multiples modalités de dissociation entre corps et paroles.

Teenage Hallucination, une proposition de Gisèle Vienne et Dennis Cooper

Point d’entrée du festival, Teenage Hallucination est une installation maîtresse et glaçante. Concoctée par la metteuse en scène Gisèle Vienne, à partir des poupées mannequins qui peuplent ses spectacles, elle en aligne, sur trois rangs, une quarantaine, allure juvénile mais visages de cire boursouflée, pâleur enfiévrée, inertes sur leurs chaises, clous du spectacle sous les projecteurs, et spectatrices de leur propre image, sous forme de portraits photographiques alignés eux aussi aux cimaises qui leur font face. Une façon de les enfermer, de fragmenter leur présence inquiétante, de sceller l’autisme du dispositif.

Hallucination, fantômes, démons, mais aussi revenants convoqués dans des séances filmées de Spiritismes, quotidiennement et en direct, par Guy Maddin qui, ainsi, tente de réinscrire au présent des films ou scénarii perdus, oubliés, détruits, qui hantent l’histoire du cinéma.

A l’instar de l’édition de l’an passé, qui prenait pour prétexte la notion d’éther pour traiter des rapports de l’art de la science, le Nouveau festival semble se faire une spécialité, pour faire se frotter l’art contemporain et les avant-gardes historiques, de puiser dans les limbes de l’ésotérisme, mélange de peurs ancestrales et de scientisme dixneuviémiste, qui permettait, entre savoir et illusion, tout autant d’expliquer l’inexplicable, que de mystifier les crédules. Cela confère à la manifestation une tonalité légèrement désuète, la transformant en un immense cabinet de curiosités, un peu hors du temps et du monde. Bernard Blistène évoque la venue possible de Houdini, magicien et contempteur du spiritisme, pour la quatrième édition…

Oeuvres
— Galen Johnson, Spiritismes. Photo noir et blanc
— Guy Maddin, Dix minutes dans le noir. Photo noir et blanc.
— Marnie Weber, The Truth Speakers (Girl with eggplant dress and burgundy trim), 2009. mixed media
— Gisèle Vienne, issue de la série 40 portraits 2003-2008. Photographie, poupée.
— Florian et Michaël Quistrebert, The Eight Sphere, Installation
— Julien Prévieux, Menace 2 (détail), 2010.
— Ossian Brown, Haunted Air. Photographie noir et blanc

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