ART | CRITIQUE

25e heure

PMaxence Alcalde
@25 Fév 2005

Aux côtés d’une pièce monumentale, Le Grand sommeil, Gloria Fiedmann présente des œuvres composées d’un bestiaire particulier mélangeant technologie et animalité, de vitrines confrontant des objets à des images des grands de ce monde, et de photomontages.

On pourrait diviser l’œuvre de Gloria Fiedmann en trois types d’objets : les œuvres relevant d’un bestiaire particulier où technologie et animalité se confondent ; des vitrines où trônent des objets souvent organiques devant un paravent représentant généralement de grands dirigeants ; enfin des photomontages qui confrontent visuellement deux univers a priori distants. C’est à peu de choses près ce que présente cette nouvelle exposition de Gloria Friedmann.

No Man’s Land est un totem composé d’ossements bovins et d’écrans de mini téléviseurs. Imposant, tant par sa taille que paradoxalement par le silence qui s’en dégage (contrairement à d’autres pièces vidéos inutilement bruyantes), cette pièce suscite chez le visiteur une sorte de perplexité.
Les crânes constituant le totem sont ornés en leur sommet d’un écran réglé sur aucune fréquence particulière. Les images d’une abstraction toute technologique renvoient alors à une sorte de conscience brouillée de l’animal transformé en cyborg.
Mais le monstre est mort et seuls les vestiges restent. Et c’est sur ce reste que l’artiste fonde une œuvre sous les traits d’une anthropologie prophétique venue du futur et rendue possible par la négation de l’animal, et peut-être aussi de cet animal social qu’est l’homme. Le totem est là, mais le tabou a changé de lieu : il passe du registre social de la sexualité au registre scientiste de l’eugénisme.

Pièce plus légère s’il en est, Strawberry Field for Ever joue sur le décalage et l’humour. Un squelette humain, assis au sol et affublé d’un faux nez pointu, semble sourire au visiteur interloqué. A l’extrême psychédélique de la célèbre chanson éponyme des Beatles, Strawberry Field for Ever reprend le thème classique des vanités. Le squelette est transformé en Pinochio au nez conique, mais quel mensonge est la cause de cette proéminence nasale ?

La réponse est peut-être à trouver dans l’accrochage de Strawberry Field for Ever en face du Concessionnaire, une sculpture de taille humaine qui figure un businessman engoncé dans un manteau sombre et tenant entre ses mains une énorme sphère.
Un lien unit sans doute cette sphère, qui pourrait être la Terre, et le nez pointu du squelette de Strawberry Field for Ever. Un échange s’établit entre Le Concessionnaire, qui tient en main le destin de la planète, et la vanité chargée de la funeste réception de ce globe… L’humour noir fait partie du processus de création de Gloria Friedmann comme l’attestent encore Die Grunen (les Verts) ou Toi + Moi.
Die Grunen appartient à cette série de pièces où l’artiste expose, dans une même vitrine, une image de grandes réunions politiques internationale avec d’autres objets qui interviennent comme la légende de cette image. Devant une photo réunissant Clinton, Chirac, Kohl et Major, Gloria Friedmann a placé autant de cactus de races différentes. Les sourires figés des protagonistes devant leur avatars-cactus donnent à la « photo de famille » quelque chose d’incongru.

La grande surprise vient toutefois du Grand sommeil, pièce monumentale en rupture radicale avec l’univers auquel l’artiste nous a habitué. A travers une dizaine de mannequins de taille humaine, Le Grand sommeil nous plonge dans une sorte de hall de gare où chacun aurait été stoppé au beau milieu de ses activités. Un sentiment étrange nous envahit car on ne sait pas vraiment si on se trouve au sein d’une photographie réinterprétée en trois dimensions comme aurait pu le faire Wang Du, ou au milieu d’une catastrophe naturelle — la couleur grise foncée des mannequins fait songer à Pompéi. Cette pièce prend évidemment une résonance particulière au regard de l’actualité du tsunami…

Gloria Friedman évite toujours le conformisme politiquement correct tout en posant sans pathos des options politiques fortes. Ce qui fait incontestablement d’elle l’une des artistes contemporaines les plus complexes.

Gloria Friedmann
— Le Grand Sommeil, 2005. Fer, tissus, résine polyester.
— No Man’s Land, 2005. Ossements, téléviseurs.
— Strawberry Fields for Ever, 2005. Os, résine polyester.
— Le Concessionnaire, 2005. Terre cuite, tissus.
— Images du monde. Collages, impressions jet d’encre.
— Toi + Moi, 2000. Crâne humain, crâne de singe, miroir.
— Die Grünen, 1997. Impression jet d’encre, verre, cactus.

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