ART | CRITIQUE

2012

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@29 Mar 2013

L’exposition «2012» rassemblant Guy de Cointet, Trisha Donnelly, Adriana Lara et Allen Ruppersberg se présente comme une réflexion sur la symbolique des chiffres. A l’heure des statistiques, des classements et de l’économie-reine, elle jette un pavé dans la marre: non, le chiffre est avant tout une donnée spirituelle!

Quatre artistes de la galerie sont réunis pour l’occasion: Guy de Cointet, Trisha Donnelly, Adriana Lara et Allen Ruppersberg. Leurs œuvres disparates —films, sculptures et sérigraphies— parsèment des espaces dépouillés. L’ensemble est assez silencieux, presque austère, et il faut se concentrer sur la démarche des galeristes pour en remarquer l’originalité: affirmer sans détours la liberté d’une relecture.

Pourquoi en effet, rapprocher ces quatre artistes? La réponse est assez claire pour Guy de Cointet et Allen Ruppersberg qui sont communément associés à l’art conceptuel américain des années 60-70, et bien qu’une dizaine d’années les sépare, leurs noms figurent ensemble dans différents ouvrages rétrospectifs. Mais c’est loin d’être le cas des deux autres artistes dont les œuvres exposées sont bien plus récentes. Adriana Lara, jeune artiste mexicaine, et Trisha Donelly, née aux Etats-Unis en 1974. Quels critères, quels liens motivent donc cette exposition collective?

Confronté à la dispersion du propos, on aurait pu mobiliser la distinction entre «influence directe» et «influence indirecte», mais la notion d’influence n’est plus vraiment à la mode. En fait, la symbolique du chiffre suggère ici bien plus des affinités inexpliquées, des liens possibles et inattendus, fussent-ils pour autant anachroniques ou atypiques. L’espace ouvre le dialogue atemporel des œuvres entre elles.

Le thème de la symbolique du chiffre est, selon les galeristes, justifié par des considérations mystico-métaphysiques qui vont de l’épaisseur même du monde, à la mathesis universalis, en passant par l’égrainage du temps. On aurait que la démarche fût davantage explicitée. Les artistes ont-ils été marqués par la kabbale ou par d’autres interprétations numérologiques du monde? Pourquoi les chiffres présentés sont-ils plus significatifs que d’autres?

Au-delà de son aspect énigmatique, l’intérêt de l’exposition réside dans une réflexion pertinente sur l’en deçà du signe: le chiffre, la lettre, l’image et le mètre apparaissent comme des outils fragiles par lesquels nous essayons de donner forme à «la grammaire secrète du monde». Ces outils sont interrogés, travaillés, superposés et finalement montrés dans leur vulnérabilité et leur artificialité. Chaque œuvre est choisie en fonction des systèmes de représentations qu’elle mobilise, expose et confronte.

A l’origine du projet, les films inédits Sans titre de Guy de Cointet, datant de la fin des années 60, jouent avec des chiffres-signes. Basculés à l’horizontale, les 7, 10 et 12, sont autant de formes graphiques que viennent délier les rotations d’une aiguille équivoque.

Dans une monographie récente (Guy de Cointet, JRP|Ringier/Les Presses du Réel, 2011), Pierre Wajcman qualifiait l’ensemble de son œuvre de «pierre de Rosette» faisant référence à ce célèbre fragment de stèle où un même texte gravé dans différents systèmes d’écriture permit à Champollion de déchiffrer les hiéroglyphes. Les films que l’on découvre ici entre la lettre, le chiffre et le signe, sont un exemple marquant de cette recherche.

Adriana Lara présente pour sa part deux œuvres datées de 2012, intitulées 2012 et 1 (one) from Numbers (Disambiguation). La première, qui a donné son titre à l’exposition, est une animation numérique perceptible depuis la rue. Une séquence animée est projetée en boucle comme dans certains fonds d’écrans pour PC.
La seconde œuvre consiste en une sculpture dont la forme se rapporte au chiffre 1. Une colonne de deux mètres de haut est recouverte de deux toiles collées: l’une est peinte en noir, l’autre est blanche, quadrillée de gris clair. Le motif imprimé reprend celui qui tapisse les fonds d’images sur Photoshop: «canvas». Au travers de ces deux œuvres on est invité à considérer le lien ténu que tissent l’image numérique, la peinture et la sculpture.

L’unique œuvre présentée de Allen Ruppersberg, Le Mot juste (1983) est une série de sept sérigraphies encadrées où figure un poème de l’artiste. La typographie, sobre d’apparence, dessine encore dans les blancs de la page des calligrammes possibles. Des nuages? Un paysage? Une ligne? Le tout mobilise les registres du texte, de l’image et de la métrique. Un jeu se met alors en place de façon que le visiteur ne sait plus bien s’il lit, regarde ou mesure le rythme de sa propre perception.

La dernière œuvre de l’exposition est celle de Trisha Donnelly intitulée Untitled (2011). Parce qu’elle ne représente ni chiffre, ni lettre, elle est peut-être la plus emblématique du propos. Il s’agit d’une sculpture de marbre rose posée à même le sol. Comme souvent face au travail de cette artiste on erre quelque part entre perception et compréhension, buttant sur notre propre incapacité à reconnaitre l’objet en face. De loin, la facture industrielle évoque une pièce mécanique, de près, le marbre rose s’adoucit par des sillons gravés aux courbes régulières et sensuelles. Les contraires s’y rencontrent et l’imagination joue en vain à associer cet objet à des formes connues. Il s’en faudrait de peu pour que nous puissions dire ce qu’il est, lui donner un nom, un sens, mais ici aussi comme tout au long de la déambulation proposée, le visiteur est encore maintenu, juste, en deçà du signe.

Si l’exposition manque donc de générosité, la proposition ne manque pas de cohérence et lorsqu’en quittant la galerie nous retrouvons les chemins balisés et bruyants de la ville, nous retenons cet instant passé à contempler des signes possibles, sans direction et sans jugement.

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