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21 Oct 2016

Lettre ouverte

Lettre ouverte à Madame Audrey Azoulay, ministre chargée de la Culture et de la Communication et à Monsieur Thierry Mandon, secrétaire d’État chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche

Depuis deux ans, les Écoles nationales supérieures d’art n’ont cessé d’alerter les services et le Cabinet du ministère chargé de la Culture sur le nécessaire développement de l’enseignement supérieur dans ces écoles. Début septembre 2016, le Cabinet a reconnu qu’il était temps d’ouvrir un chantier de mesures et de rattraper le retard pris. Mais cette parole est restée sans effet car le Cabinet du ministère chargé de la Culture promet puis se dérobe, considérant qu’il s’agit de questions subalternes. Aucun conseiller n’est d’ailleurs spécifiquement chargé de l’enseignement supérieur en son sein, ce qui en dit long sur la place qu’il donne à cet enseignement.

Pourtant, les rapports se multiplient soulignant la faiblesse de l’organisation des services chargés de l’enseignement supérieur au sein de ce département ministériel, leur caractère très éclaté et l’absence de coordination entre eux. Ce manque d’unité fragilise la parole de notre tutelle au moment où se mettent notamment en place la coordination nationale des formations et leur déclinaison locale sous la forme de contrats au sein de chaque Communauté d’Universités et d’Établissements (COMUE).

Dans ce cadre, la situation des Écoles nationales supérieures d’art, qui dépendent de la Direction générale de la création artistique (DGCA), est ubuesque. Cette Direction est dépourvue de moyens humains pour traiter de l’enseignement supérieur et, faute d’instructions politiques, se contente de gérer l’existant au jour le jour. Ses textes concernant l’enseignement supérieur dans les Écoles nationales supérieures d’art se limitent à de simples notes et circulaires calquées sur les préconisations du Haut Conseil de l’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement supérieur (HCERES), sans que ne soit jamais entrepris un travail de structuration de cet enseignement. Aucun projet de développement de l’enseignement supérieur et de la recherche dans les Écoles nationales supérieures d’art n’est même à l’étude… Au moment où le ministère chargé de la Culture est censé développer la mise en place du LMD dans les établissements sous sa tutelle, la DGCA a seulement été dotée, il y a six mois, d’un chargé de mission pour la recherche… alors que la Direction générale du Patrimoine abrite des services étoffés et compétents pour les Écoles nationales supérieures d’architecture.

Les Écoles nationales supérieures d’art attendent depuis dix ans maintenant que soit étudiée et mise en œuvre une série de mesures reconnaissant et organisant leurs nouvelles missions, en particulier dans le domaine de la recherche. Mais le ministère chargé de la Culture diffère toujours la rédaction des textes nécessaires et s’en remet aux initiatives de chacun, sur le « terrain ». La reconnaissance des diplômes que ces écoles délivrent dépend pourtant de l’adossement à la recherche, terme qui doit s’entendre dans le cadre propre à l’enseignement donné dans ces établissements, mais qui suppose aussi des missions clairement définies, des réformes pédagogiques (terme inconnu de la DGCA), une réorganisation de cet enseignement.

Les étudiant.es des Écoles nationales supérieures d’art  sont les premières victimes de cette situation : pas de bourses d’aide à la mobilité attribuées par le ministère chargé de la Culture, à la différence des étudiant.es des Écoles nationales supérieures d’architecture, cela au sein d’une même tutelle… ; faible reconnaissance par les autres établissements du supérieur des crédits et diplômes obtenus par les étudiant.es des Écoles nationales supérieures d’art, les universités par exemple leur demandant très fréquemment de faire un second master avant de leur permettre de s’inscrire en doctorat, alors que de telles rétrogradations sont supposées demeurer l’exception ; non consultation des représentant.es des étudiant.es par le ministère chargé de la Culture, etc.

Le projet de création d’un Conseil national de l’Enseignement supérieur et de la Recherche artistiques et culturels (CNESERAC) qui doit être consulté sur les questions relatives aux établissements d’enseignement supérieur relevant du ministre chargé de la Culture et sur les questions relatives aux activités conduites par les « structures » (sic) de recherche relevant de ce ministère achèvera de dissocier l’enseignement artistique de l’enseignement supérieur en le livrant à des arbitrages internes. Le grand souci du ministère n’est pas d’organiser et de soutenir un tel enseignement dans les Écoles nationales supérieures d’art, mais de savoir quelles branches professionnelles, lobbies, etc. seront représentés dans ce Conseil… Mieux protégées par la Direction générale du Patrimoine, les Écoles nationales supérieures d’architecture ont obtenu d’être directement accréditées par le Conseil national de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (CNESER)!

Madame la Ministre, Monsieur le Secrétaire d’État, nous nous tournons vers vous pour vous demander quel avenir le ministère de la Culture et de la Communication veut offrir aux artistes que les Écoles nationales supérieures d’art ont la responsabilité de former. Comment veut-il insérer ces établissements dans un contexte international, de quels moyens veut-il les doter pour éviter qu’ils ne deviennent un réseau de seconde zone ? Quel projet porte-t-il pour inscrire ces établissements dans l’enseignement supérieur ? Les Écoles nationales supérieures d’art, comme les Écoles nationales supérieures d’architecture, sont autonomes, soumises au même principe d’évaluation périodique par le HCERES, très impliquées dans les COMUEs. Elles revendiquent leur appartenance à la communauté de l’enseignement supérieur et entendent participer à la puissante dynamique de changement en cours. De très nombreux exemples témoignent de la richesse des interactions entre nos écoles et des universités, des grandes écoles, des instituts et laboratoires de recherche, en France et à l’étranger.

Dans le cadre du processus de Bologne, le ministère chargé de la Culture s’est engagé à mettre en place le LMD dans les Écoles nationales supérieures d’art. Ce travail a été effectué par tous les acteurs concernés depuis quatorze ans et a fait apparaître de nouvelles missions et questions. Néanmoins ce ministère refuse toujours d’engager une nécessaire réflexion sur les réformes à entreprendre et surtout d’engager ces réformes dans les plus brefs délais.

Nous espérons que cette lettre contribuera à attirer votre attention sur une situation inacceptable qui voit le sort des étudiant.es inscrit.es dans des établissements relevant du ministère chargé de la Culture soumis aux pressions des lobbies, aux rivalités entre Directions générales, tandis que les étudiant.es des Écoles nationales supérieures d’art ont à supporter les conséquences du désengagement de l’État concernant les arts plastiques, l’absence de toute politique pour ce secteur.

Nous avons l’honneur de vous demander un entretien pour expliciter notre démarche et plus largement les attentes de ces écoles.

Nous vous prions, Madame la Ministre, Monsieur le Secrétaire d’État, de bien vouloir agréer l’expression de notre haute considération,

16 octobre 2O16,

Collectif INforme, Comité d’expertise des Écoles nationales supérieures d’arts

Professeur.es artistes et théoricien.nes des Écoles nationales supérieures d’art, technicien.nes d’assistance pédagogique, directeurs, étudiant.es

 

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